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défenseurs, y fut répandu, il produisit le même effet qu’à l’audience. Il répondait aux sentimens universels de sympathie et d’admiration dont l’accusé était l’objet et que, loin de les détruire, son attitude, au cours des débats, avait rendus plus vifs.

L’acquittement pur et simple semblait s’imposer à la conscience des juges. Ils le refusèrent et, le 21 prairial (10 juin), après avoir prononcé la peine de mort contre Georges Cadoudal et ses principaux complices, des peines diverses contre les autres, ils condamnèrent le général Moreau à deux années d’emprisonnement. Ils avouaient ainsi qu’à leurs yeux, la preuve n’était pas faite des griefs mis à sa charge. Peut-être aussi avaient-ils puisé dans la crainte d’ameuter contre eux les nombreux partisans que le vainqueur de Hohenlindon comptait encore dans le pays et dans l’armée le courage de braver la colère de Bonaparte en résistant à sa volonté.

C’est en vain qu’organe de cette volonté et témoin de leurs hésitations et de leurs angoisses, le ministère public, après avoir fulminé, à l’audience, un fougueux réquisitoire contre Moreau, s’était efforcé, dans la salle des délibérations, de leur arracher une sentence de mort, afin d’assurer à Bonaparte la faculté de gracier l’illustre condamné et la gloire qui s’attache à la clémence.

— C’est pour l’exemple que nous vous demandons une condamnation capitale, leur avait-il dit. Mais elle ne sera pas exécutée. L’Empereur est résolu à faire grâce.

— Et nous, qui nous la fera ? s’était écrié l’un d’eux.

Finalement, ils avaient édicté une peine minime, la jugeant suffisante pour détruire la popularité de Moreau, pour le mettre hors d’état de nuire et d’aspirer au pouvoir. N’était-ce pas cela surtout qui importait à Bonaparte ?


ERNEST DAUDET.