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pu se faire, qu’il avait formellement refusé de s’associer aux projets qui lui étaient soumis et de travailler au rétablissement de la monarchie. Toujours d’après eux, il s’était borné à répondre qu’ayant un parti considérable dans le Sénat et dans l’armée, il devait supposer que, si le gouvernement consulaire était renversé, c’est à lui que le pouvoir serait offert et qu’en ce cas, il l’accepterait non pour rappeler les Bourbons, dont la France ne voulait pas, mais pour sauver la République.

Réduite à ces termes, sa culpabilité s’atténue singulièrement. Elle s’affaiblit plus encore, si l’on tient compte de ses réponses au cours de l’instruction et des débats publics ; si l’on considère, surtout, l’indignité des accusateurs, l’invraisemblance et la contradiction de leurs dires, la fragilité des preuves qu’ils produisent. Comment croire par exemple, comme l’affirme l’un d’eux, Bouvet de Lozier, que Moreau, après avoir promis « de se réunir à la cause des Bourbons, » s’est rétracté et, par l’intermédiaire des généraux Pichegru et Lajolais, leur a proposé de le faire nommer dictateur ? Toute sa vie ne proteste-t-elle pas contre cette imputation ? Les Bourbons, il a par trois fois refusé de les servir. Dictateur, il a pu l’être quand il avait une armée à ses ordres : Sieyès lui a offert la dictature lorsque la République semblait en péril. C’est lui-même qui, en déclinant cette offre, a désigné Bonaparte comme le plus capable d’accomplir un coup d’Etat. Il a fait plus : au 18 brumaire, il a servi les desseins de son glorieux camarade. Comment donc s’expliquer, — à moins qu’il ne soit le plus imprévoyant des hommes, ce qu’il n’est pas, — que quatre ans plus tard, quand le Premier Consul est au faîte de la puissance, et touche à l’Empire, il ait conçu le fol espoir de se saisir, avec l’aide d’une poignée de Chouans et d’un général dépopularisé et irréparablement compromis, de ce pouvoir dictatorial dont il n’a pas voulu quand il lui était aussi facile de s’en emparer que cela lui serait difficile maintenant ? Que valent, à cet égard, les témoignages d’un Rolland et d’un Lajolais ?

Dans les notes que, du fond de son cachot, Moreau fait passer à ses avocats, il explique ainsi qu’il suit ses relations avec Rolland. « Il a servi sous mes ordres comme inspecteur des Transports militaires à l’armée du Rhin, ans IV, V, VIII et IX. Depuis mon retour à Paris, il venait me voir de temps en temps, comme presque tous ceux qui ont servi avec moi. » Il pourrait ajouter qu’à peine arrêté, Rolland, tremblant pour ses jours, s’est