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brûlé, on va nous en rebâtir une avec de beaux dragons, dans le style d’autrefois.

L’institutrice de leurs enfans, une rose et rieuse fille de Christiania, a vécu l’hiver dernier chez un autre pasteur à la pointe des Lofoten : « Vers la fin de novembre on aperçut encore le soleil. Ce fut pour la dernière fois jusqu’au trois janvier où une lueur jaune rasa le bord des flots. Puis les tempêtes nous prirent, et nous ne revîmes sa lumière qu’aux premiers jours de mars. Dehors, je ne distinguais pas ma main. Je ne pouvais me mettre à la fenêtre, tant l’odeur des poissons était épouvantable. Mais nous jouions du violon et de la guitare, et nous eûmes quelques clairs de lune d’une incroyable splendeur. »

Le dimanche, le pasteur arrive à Balstad dans sa haute carriole norvégienne qui, de loin, court sur la rampe des fjells comme un grand faucheux au pied d’un mur. Les gens l’attendent assis parmi les rochers devant leur pauvre maison de prières. Sa femme, l’institutrice et les enfans le suivent en calèche. Toutes les ferrailles de la vieille voiture sonnent, et les deux poulains qui trottent aux côtés des deux jumens font un bruit de cavalcade. Il entre dans la sacristie, son fouet à la main. La maison basse, où les guirlandes de la Saint-Jean tombent en poussière, se remplit d’enfans aussi délicats que les enfans de nos villes, de femmes au teint battu, souvent assez jolies, de paysans et de pêcheurs dont quelques-uns assurément descendent des mêmes aïeux celtes que nos Bretons.

Le jour où j’assistai à l’office, le pasteur fit un sermon contre le piétisme, « ce champignon qui s’attaque aux âmes comme la rouille au seigle. » Il ne le nomma pas, mais il détourna ses fidèles d’imiter les dévots qui se singularisent par leurs vêtemens et leur tenue et qui vont, les yeux toujours baissés vers la terre, en se félicitant d’être sauvés. Cela dit simplement sur un ton de réelle bonhomie. « Je vous parle comme un paysan à des paysans. ». Il remarqua que le Christ est un grand peintre et qu’en deux mots il sait peindre les gens dont il parle : « Ces orgueilleux pharisiens avec leur bandeau… » Nul n’ignorait qu’il visait les lœstadiens, car, même aux Lofoten, on hurle et on danse en Lœstadius ; et plus d’une fois l’office fut interrompu par des explosions d’alleluia sauvages.

Lorsque nous revînmes, notre hôtesse et sa bonne, du seuil de l’auberge, nous souhaitèrent « la bienvenue de l’église » et