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aux fortes mâchoires, tenace, mais impatient de toute discipline, prend et quitte sa tâche, au gré de ses lunes.

Et le Lapon ? « De quel Lapon me parlez-vous ? me disait M. Lundbohm, administrateur de Kiruna. Est-ce de l’unique Lapon que nous employons dans notre mine ? Un brave homme, mais que je crois un peu dégénéré. Est-ce du peuple ? Les Lapons n’entrent point à notre service. » Et il ajoutait : « Ce sont les aristocrates du pôle. La saleté qui enduit leur visage ne les empêche pas d’avoir des politesses et des délicatesses inconnues aux paysans suédois. Et d’autre part, ils demeurent convaincus, malgré nos lois sacrilèges, que Dieu leur a réservé, et pour l’éternité, la possession des fjells. Du temps où l’on construisait la ligne de Kiruna, comme leurs troupeaux de rennes nous causaient des difficultés journalières, j’en réunis un très grand nombre, et, paternellement, je leur conseillai de choisir d’autres routes. Ils m’écoutèrent en silence ; puis un vieillard se leva et me dit : « Vous êtes bien aimable et nous vous remercions de vos conseils ; mais je voudrais savoir de quel droit vous nous les donnez, car cette terre est à nous. » Et je leur répondis : « Il se peut que vous ayez raison, mais il y a le chemin de fer ! »

M. Lundbohm avait trouvé l’argument sans réplique de la justice humaine.

Cependant la race laponne ne subira point le sort des Peaux-Rouges. La civilisation garde ce qu’elle ne saurait remplacer. Heureusement à ses yeux le Lapon est plus qu’un homme : c’est un moyen de transport. Supprimez son renne et son traîneau ; les routes de poste se ferment sur de vastes étendues. Il continuera donc de vivre, le petit peuple des fjells qui tache de points noirs la blancheur de l’hiver boréal. Tous les voyageurs, depuis notre Regnard, ont noté sa crasse et sa laideur, ses gentillesses puériles, la bienveillance nauséabonde de son hospitalité, son ivrognerie qui dépasse encore celle de ses maîtres ; et, parmi les groupes ethniques que nous qualifions de sauvages, il n’en est pas dont l’image nous soit devenue plus familière, car les Lapons s’exhibent de bon cœur en pays étranger. Mais ceux qui les ont connus, — pasteurs, artistes et romanciers Scandinaves, — ont surtout insisté sur ce qu’on devine chez eux d’insaisissable et de « derrière la tête. »

Contre les empiétemens et les rapines des Suédois et des Norvégiens, ils se sont défendus en répandant autour d’eux une