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distinguent à six brasses de profondeur. Les plus belles fleurs des fjells croissent dans les gorges des monts : l’aconit sauvage aussi large qu’un parasol, l’angélique, le géranium, l’azalée, le bouton d’or épanoui comme une petite rose, la renoncule qui grimpe et ne s’arrête qu’au bord des glaciers. Mais les pins et les sapins ne montent pas jusqu’à lui ; et les vaillans petits bouleaux, qui se pressent devant cette lumière liquide, font comme une forêt d’ossemens blanchis sous des feuilles vertes. Partout la même angoisse de silence.

Sur deux ou trois points seulement la vie éclate, à Malmberget, à Kiruna, où l’on éventre des montagnes de fer. Malmberget, un gros bourg dont les maisons, sauf quelques bâtisses neuves et le château du directeur, ne sont que des échoppes et les cabanes des chenils, se tapit au milieu des éboulemens de granit rose. Kiruna, qui vient de naitre et qui contient déjà quatre mille habitans, s’est réfugiée sur une hauteur en face de la colline retentissante dont un lac la sépare, et que ses mineurs finiront par rayer de la surface du désert. Ses chalets vernis, ses maisons résineuses recouvertes d’une feuille de bois goudronné, s’éparpillent dans les défrichemens et les fondrières. Les chevaux, la cloche au cou, galopent en liberté sous un bois de bouleaux rabougris dont toutes les feuilles métalliques semblent tinter. Les routes mal frayées sont semées de copeaux, et, au creux de leurs ravins, où les ruisseaux coulent, on entend, le soir, les brosses dont les laveuses raclent leur lessive. Trois fois par jour, à huit heures, à midi, à quatre heures, la dynamite déchire les flancs de la colline : on règle sa montre et on prend ses repas à ces coups de foudre.

Ces cités minières n’ont point la tumultueuse barbarie des campemens américains. La Suède y acclimate son esprit de méthode, ses règlemens, sa tranquillité pesante et ses goûts pédagogiques. Non seulement Kiruna possède une école, mais, dans cette école, un petit musée de peinture. Si les hommes du Sud, importateurs de nouveautés, y forment des comités socialistes, le Nord y introduit la variété de ses sectes religieuses, méthodistes, anabaptistes, salutistes, mormons ; et ici, comme à Karlsborg, les lœstadiens hurlent. La plupart des ouvriers sont Suédois. Le Norvégien, joueur dans l’âme, lâche le travail régulier de la mine et retourne jeter l’enjeu de sa vie sur la houle de l’Océan. Le Finnois, mince, au visage asiatiquement plat et