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crié le nom dans une heure de détresse et qu’il sait être son père. « Puisque cette sympathie soudaine que vous éprouvez, monsieur, demande qu’on l’explique, je suppose que je vous rappelle un cher souvenir de votre jeunesse… » Et, sans lâcher du regard son interlocuteur frissonnant et blême, avec une insistance de tortionnaire, il lui retourne dans le cœur l’histoire de sa mère Gunnel, si étrangement séduite et si lâchement abandonnée. « Quel emportement dans ses baisers ! Quels embrassemens ! Comme elle savait aimer ! Cela est indicible et doit être inoubliable, monsieur… » La scène, d’une violence inouïe, ne se sauve de la crudité que par l’émotion qui en jaillit et la poésie qui en déborde.

Mais ces paysans développent dans la solitude une puissance de rêve qui tempère et colore leur rudesse. Quand la volonté ou l’obstination ne noue pas leur intelligence, ils surmontent l’ingrate monotonie de leur tâche par leur amour du merveilleux et leur sens du mystère. C’est en quoi les héros de Pelle Molin, si peu chrétiens, ressemblent aux fanatiques des contrées lœstadiennes ; seulement, au lieu d’ériger leur orgueil en acte de foi et de s’y accrocher comme à un cippo funèbre, leur âme plus humble demeure encore prise dans les charmes païens d’un très ancien panthéisme.

Dès leur jeune âge, lorsqu’ils s’aplatissaient le nez aux vitres de leur chambre, les derniers rayons du soleil éclairaient pour eux, au-delà du fjell ou du torrent, des pays chimériques, des royaumes de Trolls. Ils vivent au confluent des superstitions Scandinaves et des sorcelleries laponnes. Leur esprit a la nostalgie du surnaturel ; leur imagination est pleine de féerie. Ni bonne ni mauvaise, mais inquiétante, mais incompréhensible et belle, la nature se plaît à dresser sous leurs pas des embûches de sortilèges. Toujours dans ses mains invisibles, ils s’y sentent parfois « plus misérables, plus dénués, qu’une petite pelote qui roulerait à l’infini sur un chemin mystérieux. » Ce qui fait l’originalité de Pelle Molin, c’est moins encore la richesse d’observation et de fantaisie qu’il a mise dans ses nouvelles que l’atmosphère fantastique et réelle dont il lésa baignées. La ronde passionnée de l’ours et de Salmon tourne dans la splendeur des nuits arctiques. Le soleil la regarde de tous ses rais d’or, et, sous sa toison de mousse éraillée, la maigre terre sablonneuse ouvre enfin de longs yeux d’ocre vers le ciel de minuit limpide et rose. Cette