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l’automne, et enfermées dans la ruche sonore des bruits de leur torrent. Son village, il nous l’a décrit, et je l’avais presque sous les yeux en parcourant la vallée du Kalix : des maisons grises pressées les unes contre les autres pour ne pas être amèrement seules lorsque le sombré hiver couve sur le pays. « Leurs fenêtres étincellent comme les yeux d’une bande de loups ; mais à la lumière des nuits d’été on dirait un troupeau de chèvres blotties dans l’attente du soleil. »

Le peuple y vivait d’une double vie : d’une vie de peine et de labeur autour de ses maisons grises, et d’une vie fantastique qui l’accompagnait sous la forêt, habitait le toit de ses petites scieries et de ses pauvres moulins, l’égarait au milieu des marécages, le hélait du haut des fjells et du fond des vallées. « Ah ! s’écriera un de ses personnages, quand on vivait de cette vie-là, on ne traversait jamais les hauteurs où dorment les marais lapons sans pressentir quelque aventure extraordinaire ; on ne mettait jamais le pied sur la pente du chalet sans guetter les deux jappemens du chien des Trolls et sans frissonner à l’idée qu’on allait entendre les enfans des Invisibles pleurer sous le plancher… »

Sa mère était, selon son expression, « une fille de poésie sous les hautes forêts de pins. » Il nous en a tracé l’inoubliable portrait dans sa nouvelle intitulée Le Fils de Gunnel. « Lorsqu’elle contait ses contes, Dieu sait où elle prenait les couleurs ! Telle de ses histoires était violette et mélancolique avec des figures voilées qui se remuaient dans le crépuscule. Telle autre, d’un gris bleu, évoquait par un matin d’automne le brouillard d’un étang que traverse l’aigre cri des plongeons. Souvent aussi, elle jetait son auditeur en plein soleil, dans une aventure d’un jaune d’or ; et tout à coup la grue lançait son appel, et les grelots des vaches tintaient dans les jeunes taillis. » Ainsi grandit Pelle Molin. Comme à l’enfant que la Dame du Lac emportait sous des eaux magiques, la vie réelle ne lui apparut qu’à travers un élément mystérieux qui n’est pas l’air que nous respirons et qui pourtant laissait filtrer jusqu’à lui les bruits de la terre et l’odeur des bois.

Sa mère avait-elle dans les veines un peu de sang lapon ou, comme il le croyait, de sang tsigane ? Mais pourquoi chercher une origine romantique à l’inquiétude essentiellement Scandinave dont il fut dévoré ? Il quitte son Norrland, vient à