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davantage, par leur langage et leurs actions, un sentiment national, qui ne saurait être froissé sans de graves inconvéniens. »

Le mécontentement qui se trahit dans chaque ligne de cette dépêche avait des causes profondes ; il ne s’agissait pas seulement de la conduite du ministre de France à la Cour impériale ; tout le régime de Louis-Philippe était odieux à l’Empereur. Dans ces conditions, le moindre incident devenait un grief. Malgré le refus catégorique du Cabinet de Saint-Pétersbourg d’admettre une intervention quelconque d’une puissance étrangère dans les affaires de Pologne, le gouvernement français ne cessait de lui adresser des recommandations en faveur des insurgés. A la fin de septembre 1831, le baron de Bourgoing remit au comte Nesselrode la copie d’une dépêche de Sébastiani du 12/24 septembre dans laquelle le gouvernement français, s’adressant encore une fois aux sentimens magnanimes du Tsar en faveur des Polonais, lui donnait des conseils de « bienveillance et d’amitié, » parlait de la nécessité du maintien de la paix en Europe, insistait sur la conservation de la nationalité polonaise placée sous la garantie de l’Europe entière, et faisait enfin appel aux sentimens de loyauté de l’Empereur dans l’observation des traités internationaux. L’Empereur inscrivit sur cette dépêche l’observation suivante : « Toute cette pièce est d’une impertinence à ne mériter aucune réponse ; car s’il fallait répondre, je devrais dire des choses trop fortes, pour qu’elles n’entraînent des complications désagréables. »

Ainsi le fossé se creusait chaque jour plus profondément. Les dispositions de l’Empereur s’imprégnaient d’amertume et de colère. Le Roi, issu d’un mouvement d’opinion, se croyait obligé de la ménager, et elle était favorable aux Polonais. Pozzo s’assombrissait de plus en plus. Il voyait, disait-il, le gouvernement français marcher vers « la République qui est synonyme de l’anarchie. » « Il est difficile de se représenter, écrivait-il en novembre 1831, jusqu’à quel point est tombée l’autorité personnelle du Roi. Entre lui et les anciennes puissances de l’Europe il y a quelque chose d’incommunicable. De tous les Empires qui lui causent le plus d’inquiétude, la Russie est en tête, je crois même qu’il n’est pas exempt de haine et de malveillance. »


MARTENS.