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l’un d’eux, il ne pourra refuser de la laisser reproduire par tous les autres ; ne pouvant donner un droit exclusif, il vendra donc moins cher, et il devra subir les reproductions les plus imparfaites.

La Conférence de Berlin adoptera-t-elle ce système ou celui de notre jurisprudence ? Devant elle la question se pose avec toute son ampleur : est-ce ou non contrefaire que de reproduire une œuvre musicale par les instrumens mécaniques ? Le musicien a-t-il ou non le droit exclusif d’autoriser cette reproduction ? Ainsi franchement posée, il semble que la question doive être résolue avec la même franchise en faveur des musiciens. Deux argumens principaux appuient leur réclamation. La loi de 1866, loi certainement exceptionnelle, n’a disposé qu’en vue des orgues de Barbarie et des boîtes à musique, seuls instrumens alors répandus, et seuls fabriqués par la Suisse qu’on voulait favoriser ; on n’a prévu ni le pianola, ni le phonographe, ni l’ariston, qui, avec leurs organes interchangeables, permettent chacun une reproduction indéfiniment multipliée de l’œuvre musicale, tandis que chaque orgue de Barbarie, chaque boîte à musique n’en permet qu’une et d’un très petit nombre d’œuvres. D’autre part, pris en eux-mêmes, le carton perforé, le disque, le rouleau peuvent circuler de main en main et assurer à quiconque les adapte à l’instrument l’exécution de l’œuvre. La protection absolue du musicien est donc seule conforme et à l’idée de propriété et à la nature de la reproduction. Quant aux intérêts en présence, ceux des fabricans sont à coup sûr respectables, mais ceux des compositeurs ne le sont pas moins. La jurisprudence française, en interprétant d’une certaine manière la loi de 1866, a imposé aux premiers le sacrifice qui pouvait leur être le plus onéreux ; la musique avec paroles, pour laquelle ils doivent respecter le droit du compositeur, est en effet la source où ils puisent de préférence, celle que le public préfère, depuis les airs d’opéra jusqu’à la chanson de café-concert. Que reste-t-il ainsi à la discrétion des fabricans ? La musique seule, et ce sont les compositeurs de musique sans paroles qu’il s’agit de défendre, c’est-à-dire non pas seulement les auteurs de marches militaires, mais les musiciens qui écrivent pour l’orchestre des symphonies, ou pour le piano et le violon de la musique de chambre, des sonates. Inutile d’insister sur le contraste : il est assez choquant que les chansons de café-concert soient protégées, et