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tout de suite cette grande question. Mais on est en droit d’espérer de toutes les bonnes volontés qui vont se rencontrer la manifestation non équivoque du sentiment que l’unité des lois est nécessaire, qu’elle est possible et que chaque pays y travaillera avec activité. La suppression des conditions et formalités, déjà fort réduites presque partout, suivra comme d’elle-même.


III

Les Allemands proposent plusieurs additions à l’article 4 qui énumère les œuvres protégées. La principale vise « l’art appliqué à l’industrie. »

La difficulté que la Conférence rencontrera ici est connue de tout le monde. Voici un bouton de porte sur lequel est sculptée une chimère, une paire de chenets qui représentent des dragons dont la gueule se dresse ; ces objets sortent de l’atelier d’un fabricant français ; un Allemand les copie ; le Français pourra-t-il poursuivre en contrefaçon ? Oui, si ces objets sont des œuvres artistiques ; non, s’ils n’en sont pas. Et les tribunaux qui ont à juger la question, c’est-à-dire le caractère artistique de l’ouvrage, diront tantôt oui, tantôt non, suivant que les experts en auront décidé, suivant ce qu’ils en penseront eux-mêmes. Ces incertitudes de la jurisprudence, dont nous avons été, en France même, si longtemps victimes, dérivent de l’étrange distinction qui date d’il y a cent ans, entre l’art pur et l’art appliqué, entre l’artiste et l’artisan. M. André Michel, il y a quelque dix ans, dénonçait dans ses « Salons » du Journal des Débats, cette séparation entre deux sortes d’arts, qui fut d’ailleurs funeste à l’une et à l’autre. Elle n’apparaît point, quoi qu’on en ait dit, avec les Académies. Au XVIIe, au XVIIIe siècle, on voit encore des artistes incontestés s’occuper d’art appliqué ; Caffieri, Gouthière firent de la sculpture d’ornement. Ce ne sont pas les Académies, mais c’est l’académisme, celui de David et de ses élèves qui proclama, avec les droits du grand art, strictement grec et romain, le devoir des artistes de s’interdire toute œuvre utile et tout travail d’artisan. Dès lors on distingua. Les artistes réservèrent leur talent pour le tableau et la statue : les objets à notre usage, ceux qui nous éclairent, qui nous meublent, qui servent à notre table, furent abandonnés à l’invention des simples