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disparaissait, et avec elle l’ordre établi. Gardiens de cet ordre, le soubab et son fidèle nabab s’en furent de leur personne sommer le débiteur du Mogol de payer son dû.

On dit que cette belle résolution fut prise sans le congé de Dupleix. Mais on sait aussi qu’il ne la désapprouva nullement. Car, dès qu’il connut le plan des deux associés, il envoya des instructions à M. Duquesne pour qu’on enlevât rapidement la ville de Tanjore. C’est la mode aujourd’hui d’appeler « politique coloniale » toutes les opérations louches dont profitent certains partis au-delà des mers. Le mot est un pavillon qui couvre la marchandise. Dupleix fut, entre tous, expert en « politique coloniale, » et celle-ci lui commandait de ne pas abandonner ses cliens, voire dans un pareil brigandage, du moment qu’ils l’avaient entrepris.

Ainsi les faits lient l’homme dès qu’il a commencé de marcher dans la voie oblique, il la doit suivre et subir les conséquences jusqu’au bout. Dupleix pouvait toutefois se réfugier derrière les principes et invoquer celui d’autorité. En approuvant l’expédition de Tanjore, il faisait acte de déférence envers le Mogol.

Du fort où il s’était réfugié avec sa troupe, sa maison et ses trésors, Pertab-Singh put voir les percepteurs bénévoles de l’Empereur piller les faubourgs de sa ville. Sachant que le temps est le grand maître, tenant ses murailles pour solides, assuré de ne pas manquer d’argent puisque la forteresse renfermait une pagode où dormaient de fabuleux trésors, il amusa ses ennemis. Pendant des semaines, ce furent des pourparlers à l’indienne, et des remises d’acomptes dont l’inégale répartition sema, au premier jour, la discorde parmi les alliés. Dupleix ne fut pas sans avoir sa part de ces rançons partielles. La Compagnie française y gagna du territoire et l’exemption d’une ancienne rente. Mais le roi de Tanjore procédait avec une telle lenteur que d’autres négociations qu’il menait avec les Anglais et Nazir-Singh aboutirent en temps utile. La Compagnie britannique détacha de Trichinopoly une petite troupe d’Anglais qui pénétra dans la forteresse bloquée. Car ç’a toujours été la règle, dans ces guerres indiennes du XVIIIe siècle, que les secours et les émissaires rentraient à volonté dans les places, en sortaient, sans que les assiégeans en prissent ombrage. Jamais armées ne se gardèrent plus mal, ne furent moins à l’abri d’une surprise.

À la rigueur, cette entrée de quelque vingt Anglais dans la