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n’a pu ressusciter Aureng-Zeb, s’abattent les mouches vertes et bleues venues des quatre coins du vieux monde. Et comme si ce n’était pas assez des traitans et des agioteurs de la Compagnie des Indes, le financier Law aidait à la décomposition finale en lâchant sur les établissemens français son neveu, le capitaine, de qui l’on ne peut dire s’il fut plus présomptueux qu’incapable, et de qui l’on ne sait s’il fut victime de la corruption qui était partout plutôt que du manque de courage. Et l’on se demande si cette amoralité par laquelle se caractérise le XVIIIe siècle ne fut pas la cause première de toutes les catastrophes qui allaient s’accumuler. Elles emportèrent Dupleix, l’homme atteint de la folie des grandeurs, faible instrument aux mains d’une Indo-Portugaise ambitieuse, étroite d’esprit, cupide. Cette association, composée d’un imaginatif et d’une déséquilibrée, rêva, prétendent certains écrivains, de s’emparer de l’Inde par une série de combinaisons. Mais alors ces combinaisons étaient fondées sur de tels principes que la non-réussite d’une seule entraînait la ruine de toutes les autres. Combinaisons d’ailleurs purement platoniques, puisque Dupleix vécut au jour le jour, à la merci d’une défaite essuyée par ses partisans, à la merci surtout de la politique européenne où dans quelque congrès un seul trait de plume détruisait tout le labeur des coloniaux pour remettre les choses dans le même état qu’avant. Je vous avoue ne pas croire un seul instant au fameux « Plan de Dupleix. »

L’œuvre de Dupleix fut vaine, et elle ne pouvait pas durer, parce qu’il ne trouva pas un seul homme capable de le seconder, ou disposé à le faire. La bureaucratie a toujours eu sur les hommes d’action l’influence la plus néfaste. Elle paralyse leurs efforts, les annihile par ses règlemens minutieux qui obligent chacun à demeurer dans la sphère étroite de ses fonctions. La spécialisation à outrance détruit les plus brillantes qualités. En condamnant au métier d’administrateur un homme énergique, dont l’ardeur se communiquerait aux troupes et entraînerait la victoire, la bureaucratie met cet homme à la merci de militaires qui peuvent lui être extraordinairement inférieurs. Or les guerres de l’Inde, à cette époque, étaient avant tout question décourage, l’activité et d’à-propos. Les connaissances techniques ne signifiaient pas grand’chose, et un sergent de grenadiers les possédait. On s’en aperçut quelque quarante ans plus tard pendant la Révolution.