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je me serais montré fort surpris de ne pas trouver son nom sur la liste des « hommes d’affaires du Panama. » Certains de ces noms me font d’ailleurs penser à Dupleix. Le gouverneur de Pondichéry connaissait donc trop bien « les affaires » pour laisser ses fonds ou ceux de ses amis dormir sans rapporter. Il les plaça dans des entreprises politiques tout comme il les eût placés dans une cargaison de mousselines du Bengale, de porcelaines de Chine ou de laques du Coromandel. Ses placemens ne furent pas tous heureux et ses épargnes ou ses fonds de roulement, ainsi que vous voudrez les nommer, firent, en langage d’agio, « la culbute, » se triplèrent, se décuplèrent, se centuplèrent jusqu’à ce que le « krach » final emportât l’homme et l’argent. Mais, au contraire de Lally-Tollendal qui ne put trouver d’espèces pour défendre Pondichéry au nom du Roi, Dupleix ne s’en vit jamais refuser, et cela jusqu’au dernier jour, parce qu’il s’agissait toujours de lancer « une affaire, » et que toute la racaille des traitans, des négriers, des marchands de biens tenait conseil à Pondichéry.

Et, d’ailleurs, l’or n’était point rare dans l’Inde. L’arbre aux roupies se couvrait toujours de feuilles sans qu’il fût besoin d’en écheniller les rameaux. La récolte était trop belle pour que la vermine réussît à l’absorber. L’or était partout, enfoui dans les cours des maisons, les puits des sanctuaires, il en sortait aux premières menaces de la force. Les dieux aux yeux de pierreries n’étaient pas encore aveugles, le scintillement des gemmes suffisait à éclairer les obscures galeries des vimanas, comme à Vellore.

Si Jules César entreprit la campagne des Gaules pour se créer un trésor de guerre avec les dépouilles de ses temples, le pillage méthodique des pagodes, des palais et des villes pouvait rendre aux Compagnies anglaise et française le même service. L’une, non plus que l’autre, n’eut garde de l’oublier. Ce fut une curée chaude et sans lois. L’Inde du XVIIIe siècle ne se vit ni plus ni moins foulée qu’aux époques antérieures, mais elle n’avait pas encore connu de forbans aussi variés. Il semble que les écumes de la terre et des flots s’y soient donné rendez-vous pour mêler leurs violences. Le tourbillon de ces guerres de détail entraîne les aventuriers et favorise sous couleur d’héroïsme toutes leurs mauvaises passions. La sentine de l’Europe s’est déversée sur la patrie de Porus. Seule la triste Amérique a vu