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m’attacher davantage à cette ville morte d’où le grand politicien indigène dictait la loi aux ministres de Paris.

« Non, murmurait la brise du large, tu n’abandonneras pas ce Pondichéry que le gouvernement de la République, s’il était logique, devrait appeler du nom, à la fois plus sonore et moderne, de Chanoumougapaléom. Arrête, écoute ! Oublies-tu que dans quelques mois les urnes électorales recevront dans leurs flancs plus de bulletins de vote que toute l’Inde française ne compta jamais d’habitans, sans omettre les femmes et les petits enfans ? Peux-tu d’un cœur léger renoncer à ce spectacle émouvant qui est de voir un bataillon d’électeurs, recrutés sur le territoire anglais, accabler sous les coups de bâton les citoyens assez audacieux pour apporter eux-mêmes leurs votes à la mairie, où l’on n’en a que faire, puisque le scrutin est réservé, de tout temps, aux seuls partisans du protégé, de celui-là qui règne à Pondichéry ? Attends les élections ! »

La brise parla en vain. L’artificieuse clémence des élémens se heurtait à la tenace volonté d’un malade qui venait de passer, chez son ami son pou, des semaines, étendu sur une chaise longue, éventé par l’aile vibrante des moustiques et n’ayant pour consolation que de lire les résultats d’une enquête sur les divinités les plus familièrement honorées dans les villages. La plupart des préposés avaient donné ce renseignement : « Les gens ne veulent pas répondre, soit qu’ils craignent que le gouvernement ferme les pagodes, soit qu’ils redoutent un impôt. Ou bien encore, à la colonne où j’avais posé la question : « Existe-t-il un culte des Déesses Mères ? » je trouvais cette réponse : « Ici, il n’y a pas de divinités de la mer. » Et ainsi du reste. Ou bien enfin, je recevais la visite de quelque Français progressiste, toujours empressé à me dire, quand je me plaignais de la difficulté qu’on trouve à se procurer de bons renseignemens : « Mais, pourquoi ne demandez-vous pas à M. Chanoumouga ? Il vous dira tout cela ! » L’extrême faiblesse où je me trouvais m’obligeait à entendre beaucoup de propos de cette sorte, car je n’avais plus la force de m’en irriter.

L’expédition de Genji m’a pris, en effet, ce qui me restait de vigueur physique au départ. C’est un valétudinaire qui s’en retourne, riche de souvenirs, mais ruiné de santé. Les soins bienveillans du docteur Gouzien, du docteur Lhomme m’ont, assez remonté pour que je puisse m’embarquer pour l’Europe,