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amateurs ne pouvaient-ils chuchoter entre eux, qu’à côté de ce vin, les du Maine venaient de faire couler du sang !

L’opinion jugea très sévèrement la désinvolture avec laquelle la Duchesse avait dénoncé ses partisans. Rendons-lui cette justice, qu’elle pressa Mme la Princesse d’obtenir du Régent l’exécution de ses paroles, pour la mise en liberté des derniers prisonniers de la Bastille dont quelques-uns, comme le duc de Richelieu, y étaient restés fort peu de temps. Le Régent avait dit cependant de cet élégant, mais dangereux personnage : « J’aurais trouvé matière à lui faire couper quatre têtes, s’il les avait eues. »

Dans les premiers mois de sa rentrée à Sceaux, Mme du Maine n’y jouit que d’une demi-liberté, et sa situation y demeurait assez pénible. Elle regrettait surtout l’absence de ses fidèles serviteurs et amis, Mlle de Launay, Malézieux, encore incarcérés, Polignac, exilé à son abbaye d’Anchin. La Duchesse avait toujours tenu ses enfans à l’écart de sa vie de fête, et, chose triste à dire, leur éloignement semble lui avoir été moins sensible que celui des anciens compagnons de ses plaisirs.

La longue incarcération de Mlle de Launay à la Bastille nous a révélé, par ses mémoires, la faiblesse du cœur de cette romanesque et très littéraire jeune femme. La future Mme de Staal y raconte dans un style inimitable de netteté, de simplicité et en même temps de finesse spirituelle, les amours croisés avec ses compagnons d’infortune, les chevaliers du Ménil et de Maison-Rouge. Ce qui rend l’aimable auteur féminin indissolublement lié à l’histoire de la duchesse du Maine et de la conspiration de Cellamare, c’est la fermeté de caractère dont son âme fortement trempée fit preuve à la Bastille. Elle opposa, devant ses inquisiteurs, une résistance obstinée à la pression que le ministre Le Blanc cherchait à exercer sur elle pour lui arracher des aveux. Faisant bon marché de sa propre liberté, uniquement préoccupée du sort des malheureux dont la leur était aussi menacée, elle resta constamment bouche close ; et quand Le Blanc ou d’Argenson agitaient sous ses yeux la perspective de la prison perpétuelle, elle répondait avec une charmante ironie : « Eh bien ! monsieur, la Bastille est un établissement pour une fille comme moi, qui n’a pas de bien. »

Se souvenant un peu tard du si complet dévouement de Mlle de Launay, la duchesse du Maine daigna écrire un jour à la prisonnière de la Bastille, qui y était enfermée depuis près de