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Parlement, lui reprochant tout ce qui s’était passé au lit de justice, contre elle et les siens. « Elle le renvoya, dit Saint-Simon, comme le dernier des valets qu’on eût pris en friponnerie. » Dès ce moment, « ce fut à son mari qu’elle s’attacha ainsi qu’à une proie, tantôt immobile de douleur, tantôt hurlant de rage, et remplissant leur retraite de Sceaux de ses furieux emportemens[1], » sous prétexte qu’il n’avait pas su ou osé venir défendre sa cause en personne.

Sous cette bordée d’outrages, le mari désemparé baissait la tête ou ne répondait que par des pleurs. Il demanda une audience au Régent qui ne voulut pas le recevoir.

Ce refus et le silence que gardait le chef de l’Etat sur les causes de la disgrâce du duc du Maine, achevèrent de lancer la Duchesse dans la voie de la révolte. Après la radiation du Conseil de régence, après la suppression de la charge de l’éducation du petit roi Louis XV, un dernier édit faisait encore perdre au malheureux prince légitimé les honneurs du Louvre[2]qui lui conféraient le droit « d’offrir la serviette au Roi. » Si puéril que nous semble, avec nos mœurs modernes, ce détail d’étiquette, tel était l’état d’esprit des courtisans de l’époque, qu’on voyait un insupportable affront dans le retrait de cette pure formalité d’antichambre. La goutte d’eau fit déborder le vase. Tout l’ambitieux échafaudage que la petite Duchesse avait élevé dans son esprit lui semblait s’être écroulé. Elle crut pouvoir alors entreprendre, à elle seule, ce que son mari lui paraissait désormais incapable d’obtenir : le relèvement de sa maison. Déjà toutes les muses de Sceaux avaient pris leur envolée. Les derniers habitués demeurés fidèles avaient juré de verser au besoin leur sang pour le Duc et la Duchesse. Le château retentissait de plaintes amères. On y vouait les princes du sang aux dieux infernaux. La fameuse petite Cour de Sceaux se transforma rapidement en un foyer de conspirateurs. Celle qui y tenait ses états avait lié à sa cause un grand nombre de nobles, animé contre les ducs et pairs plusieurs gentilshommes attachés au Régent, des chevaliers de Malte, des seigneurs protestans. Un parti considérable[3]

  1. Mémoires de Saint-Simon.
  2. Journal de Buvat, t. I, p. 291 ; Marais, t. I, p. 164.
  3. La cabale de Sceaux fit croire à la duchesse d’Orléans, que, si le Régent venait à mourir, elle serait déclarée régente et assistée des conseils du duc du Maine, pour lui donner à jouer un rôle prépondérant en Europe. On ne ferait point de mal au Régent ; mais on lui ferait entendre (et non sans raison) qu’il ne pourrait vivre longtemps, à cause de la vie déréglée qu’il menait. (Mémoires de la Palatine, p. 118.)