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A Madame de Lessert, née Boy de la Tour, à Lyon.


A Paris, le 24 octobre 1T75.

Au plaisir, chère cousine, d’avoir de vos nouvelles et de celles de toute la famille par M. Gaujet s’est joint celui d’apprendre la conclusion de la malheureuse affaire qui vous a si longtemps chagrinée. Puisque heureusement il n’en reste aucune trace, ce qu’il nous reste maintenant à faire à tous est de l’oublier comme si elle n’était jamais avenue. Les procédés de Messieurs de Lessert en cette occasion sont la seule chose dont la reconnaissance ne doit pas permettre à votre famille de perdre le souvenir.

J’ai senti toutes vos angoisses dans l’accident d’un de vos enfans. Il faut assurément tout votre courage pour leur laisser encore une liberté qui a produit deux si tristes effets ou plutôt qui a paru les produire, car s’ils en étaient l’ouvrage, ils en résulteraient toujours ; au lieu qu’après avoir étudié très longtemps avec grand soin les enfans des paysans, qui, sans contredit, sont encore plus en liberté que les vôtres, je n’ai point vu parmi eux d’accidens semblables ; et, s’il en arrive quelquefois, ce que je ne veux pas nier, quoique je l’ignore, je suis certain du moins qu’ils sont moins nombreux et moins fâcheux que ceux qui arrivent aux enfans de la ville les mieux gardés et surveillés. Voilà une différence dont il importerait de trouver la véritable cause, et cette recherche ne me paraîtrait pas indigne des méditations de M. Prévost[1]. J’ai eu la consolation d’apprendre que cet accident n’aurait aucune suite et avait occasionné dans l’enfant des marques de courage qui, selon moi, doivent être comptées pour quelque chose dans les effets de la bonne éducation.

Dois-je espérer que vous jouirez d’un assez long congé pour exécuter le projet de voyage dont vous m’avez ci-devant flatté, ou si monsieur de Lessert, empressé de réparer ses pertes, vous aura forcée de renvoyer encore ce projet ? Pour me ménager une consolation très douce, je veux toujours espérer de voir exécuter enfin ce projet. En attendant, conservez soigneusement votre santé, ne vous échauffez pas trop après vos petits

  1. Pierre Prévost, de Genève (1751-1839), savant et littérateur bien connu, fut précepteur dans la famille de Lessert.