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ne pas tarder à l’embrasser. J’espère apprendre de lui bien des détails intéressans que je ne veux pas vous donner la peine de m’écrire et que je suis empressé de savoir. Il me trouvera délogé. Je n’ai point changé de vue, je suis seulement quelques portes plus bas, vis-à-vis de l’hôtel de Bullion ; mon nouveau logement, quoique plus grand et plus commode, me plaît pourtant beaucoup moins que celui que je viens de quitter ; mais en attendant que j’en trouve un qui me convienne davantage, j’espère être ici du moins à l’abri du voisinage scandaleux qu’on m’avait donné dans l’autre, et qui m’a forcé enfin d’en sortir après quatre ans d’habitation.

Mal sur mal n’est pas santé ; j’ai eu ces odieux tracas par surcroît dans un moment où j’en avais beaucoup d’autres, et entre autres celui d’un engagement fort étourdiment pris, mais que je veux remplir fidèlement s’il m’est possible, et pour la chose et pour le temps, et qui m’oblige de me lever pour cela d’ordinaire avant le jour et de travailler à la lumière, ce que j’aime encore mieux que de veiller tard. Excusez donc, chère cousine, si forcé de vous écrire à la hâte, je ne m’entretiens pas avec vous comme je le désirerais. Quand viendra le moment que vous m’avez fait espérer, où, sans l’intermédiaire de la plume, nous pourrons nous parler à notre aise, et où vous me rendrez témoin oculaire des progrès de la charmante Madelon ?

Bonjour, chère cousine, nous vous embrassons, et votre excellente maman et toute votre aimable famille, de tout notre cœur.


A Madame de Lessert, à Lyon.


A Paris, le 2 février 1775.

Je reconnais bien, chère cousine, votre tendre délicatesse dans la manière dont vous m’annoncez la perte que je viens de faire. En apprenant la mort de ma respectable tante, ce n’est point sur elle que j’ai pleuré, c’est sur moi que le ciel destinait à lui survivre. Il est facile à tout homme raisonnable de supporter avec patience tout ce qui est dans l’ordre de la nature, et rien n’est plus naturel que de voir une longue et innocente vie se terminer par une douce mort. Grâce au Ciel, elle n’a point connu ces situations cruelles qui font de la vie un fardeau ; mais à l’âge où elle était parvenue, la sienne avait cessé