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D’ailleurs cette station ne sera pas tout à fait perdue, vos enfans en digéreront mieux le petit acquis qu’ils ont déjà, si vous en causez avec eux quelquefois, et peut-être avant que l’hiver se passe, pourrai-je encore trouver quelque chose à vous dire qui ne demandera pas la présence des objets. Je ne suis pas surpris que vous ne distinguiez pas aisément une ombellifère d’une autre, car cela est souvent très difficile ; mais leur caractère général est si marqué, qu’il se fait sentir au premier coup d’œil. Cela me fait soupçonner que, n’ayant point encore rencontré d’ombellifère, vous n’avez pu vous en bien représenter la figure.

Cette idée me fait prendre le parti de vous envoyer ci-jointe une ombelle en nature, afin d’en peindre la figure générale à votre imagination. Celle que je vous envoie est une ombelle de carotte sauvage très commune dans les prés. Je l’ai choisie très petite pour la pouvoir placer commodément dans une lettre ; mais elle ne laisse pas dans sa petitesse de contenir toutes les parties caractéristiques des ombellifères. Grande ombelle, petites ombelles, grand involucre, petits involucres, et même les fleurs, dans quelques-unes desquelles, toutes petites qu’elles sont, vous pouvez, même à l’œil nu, distinguer et compter aisément les cinq pétales, etc. Il me semble que d’après ce seul modèle bien examiné, vous ne pouvez guère méconnaître d’autres ombelles quand elles vous tomberont sous les yeux. Adieu, chère cousine, mes salutations à M. de Lessert et nos tendres embrassemens à toute votre chère progéniture, ainsi qu’à l’aimable Emilie. Vous connaissez, du moins je m’en flatte, de quel cœur nous vous embrassons vous-même. Adieu derechef.

J.-J. ROUSSEAU.


Vous pouvez, en ôtant les brides, détacher, si vous voulez, l’ombelle du papier, pour l’examiner plus à votre aise. Vous y verrez bien clairement à la loupe le fruit à demi formé, et déjà hérissé des pointes dont la graine de carotte est garnie[1].

Vos fables de La Fontaine sont toujours ici par ma négligence à les emballer et les envoyer à vos correspondans, dont

  1. La petite plante envoyée par Jean-Jacques est demeurée dans la lettre qu’elle accompagnait. Elle est fort soigneusement étendue sur le papier auquel la fixent de toutes petites brides en papier doré.