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Mais ce serait une méprise de nier l’idée parce que chez ce peuple essentiellement actif elle n’est pas souveraine. Si elle n’est jamais une fin, elle est toujours un moyen, et, à ce titre, elle intervient partout ; sa place retrouve, pour ainsi dire, en étendue ce qu’elle perd en élévation, et on lui rend peut-être en importance ce qu’on lui ôte en dignité. L’Américain « croit que pour faire de l’argent, comme pour faire des poèmes, l’intelligence et le savoir sont également nécessaires[1]. » Nous serions tentés de nous demander si cette assimilation des diverses formes de l’activité contribue davantage à relever l’art de faire de l’argent ou à rabaisser celui de faire des poèmes. On monte là-bas une Université comme une usine, et d’ailleurs n’a-t-elle pas le même but : le rendement financier, l’utilité pratique ? On ne conçoit la culture et on ne la juge que par rapport à la richesse matérielle, soit pour son accroissement, soit pour son emploi. La culture doit servir à acquérir la richesse, ou à l’utiliser, à l’orner.

L’action est donc une nécessité imposée par les circonstances ; la volonté est devenue le caractère dominant de l’individu ; l’intelligence lui est subordonnée. Nous étonnerons-nous que le sentiment disparaisse ? Dans la concurrence vitale, chacun est trop embarrassé de soi pour penser aux autres, trop préoccupé de vaincre pour s’apitoyer sur les vaincus, trop pressé d’avancer pour s’attarder à les secourir. La formidable machine élimine le déchet. Rien n’est plus frappant que de voir comment fonctionne là-bas l’assistance, comment se manifeste la solidarité. Elles ne se pénètrent jamais d’aucune tendresse. Il était réservé à l’Amérique de nous révéler une figure originale, celle du philanthrope sans amour, ignorant la douceur d’illuminer les visages et de faire éclore un peu de joie sur son passage. Un milliardaire qui a 500 000 francs à dépenser par jour se fait un point d’honneur de ne pas donner de pourboire, parce que ce n’est pas dû. C’est un homme « exact, » — un homme dont la conduite a la beauté d’un calcul. On ne néglige rien pour perfectionner ceux qui peuvent résister et servir, les forts ; on abandonne les faibles impitoyablement. Ils ne comptent pas ; ils n’intéressent point : on ne semble pas les voir. M. Paul Adam a bien marqué ce trait, qu’il oppose à notre sensiblerie du vieux monde, et qu’il admire. Que cela est vieux jeu d’avoir pitié de la

  1. P. Adam, p. 353.