Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/514

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout à coup, dans la conversation, le mot de Tunisie. « Vous ne pouvez pas laisser Carthage aux mains des barbares, » dit-il brusquement à M. Waddington[1].

Sur l’Egypte, quoique la situation de la France fût très forte, ses « réserves » l’embarrassaient et prouvaient son embarras. M. Waddington persévérait dans le système, qui avait été celui de la France dès les temps du duc Decazes : il se contenta de déclarations établissant l’égalité de situation et d’influence des deux puissances.

En ce qui concerne le Liban, les paroles des ministres anglais furent des plus nettes ; ils reconnaissaient les droits et les devoirs acquis à la France dans cette province ; « l’Angleterre n’y porterait aucun préjudice. »

Mais, pourquoi la Tunisie ? On l’a vu, ce fut lord Salisbury qui fit les premières ouvertures. Il disait que l’Angleterre était résolue à n’opposer aucun obstacle à la politique française dans ce pays. « Faites là-bas ce qui vous paraîtra bon, ajoutait-il. Ce n’est pas notre affaire. » En somme, il invitait la France à chercher, de ce côté, des compensations qu’on lui eût difficilement accordées ailleurs. C’était jeter le lest indispensable : et cela suffit pour faire apprécier la force unique de la France à Berlin. Ce sacrifice avait été évidemment délibéré dans les conseils de la Reine, et le prince de Bismarck avait été tenu au courant.

Que risquait-on ? On s’assurait le concours immédiat de la France, — concours absolument indispensable et sans lequel on ne pouvait boucler le Congrès, — en échange de concessions à longue échéance, peu définies et qui, même, avaient l’avantage, dans les conjonctures présentes, de mettre en antagonisme les deux puissances méditerranéennes, la France et l’Italie. La diplomatie britannique, pour un gain immédiat, la prise de possession de Chypre, offrait un bénéfice aléatoire, onéreux, peut-être irréalisable : la Tunisie.

En présence de cette offre ou, si l’on veut, de cette tentation, les plénipotentiaires français hésitèrent. La France était payée pour avoir peur des aventures. Ses représentans craignaient de mettre le doigt dans un engrenage et d’engager la politique du pays pour longtemps.

Après mûre réflexion, MM. Waddington, de Saint-Vallier et

  1. Souvenirs inédits de M. le baron de Courcel sur l’affaire de Tunis.