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volonté de l’Angleterre ; c’est l’Angleterre, qui, par la convention de Chypre et la proposition relative à la Bosnie et à l’Herzégovine, donne l’exemple du partage[1].

Quant à la solution « grecque, » après quelques velléités mal définies, l’Angleterre se dérobe. Craignait-elle de voir naître une puissance maritime nouvelle dans l’Orient de la Méditerranée ? Sur ce sujet délicat et resté obscur, lord Beaconsfield prononça, dans la séance du 5 juillet, un discours que le comte Schouwaloff qualifie d’ « éloquent : »


Une opinion erronée, dit le noble lord, attribuait au Congrès l’intention de procéder au partage d’un État vieilli et non pas de fortifier, comme l’a fait la Haute Assemblée, un ancien empire qu’elle considère comme essentiel au maintien de la paix. Il est vrai que souvent, après une grande guerre, des remaniemens territoriaux se produisent ; la Turquie n’est pas le seul État qui ait éprouvé des pertes territoriales ; l’Angleterre, elle aussi, a perdu des provinces auxquelles elle attachait beaucoup de prix et qu’elle regrette aujourd’hui (s’agit-il de Calais ? ). On ne saurait donner à de tels

  1. En entendant lecture des propositions anglaises relatives aux Balkans, les plénipotentiaires ottomans, qui ignoraient encore la convention Derby-Schouwaloff et tous les arrangemens secrets qui avaient préparé et « truqué » le Congrès, n’en revenaient pas de surprise. Ils en étaient encore à croire que les plénipotentiaires anglais les aideraient à défendre, autant que possible, l’intégrité de l’empire. Il s’agissait, alors, d’arracher, à la future Bulgarie, Varna et le sandjak de Sofia : « C’était le 22 juin ; en ville, on disait que les Anglais se montraient très raides et que tout pouvait être rompu d’un moment à l’autre… Le 22 au matin, on prétendait que rien n’était arrêté ; à midi, on annonçait, au contraire, que l’entente était effectuée et, bientôt après, lord Salisbury donnait lecture au Congrès de sa grande proposition qui se trouve consignée dans le protocole IV… Les plénipotentiaires ottomans étaient atterrés ; quelques heures auparavant, on leur assurait que la question de Varna était fortement discutée, et maintenant, ils entendaient l’Angleterre proclamer du coup l’abandon de Varna et du sandjak de Sofia à la principauté de Bulgarie, se contenter, en retour, de l’exclusion des bassins du Mesta et du Struma-Carassou des limites de la Roumélie orientale, ce dont on n’avait pas entendu parler jusqu’alors, et proposer la formation, en dehors de la principauté de Bulgarie, d’une province autonome avec frontières, milice locale, etc. » Le pauvre Carathéodory essaya en vain de se défendre. Le prince de Bismarck lui coupa la parole : « M. de Bismarck commença à dire très durement au plénipotentiaire ottoman que s’il avait à parler, il devait le faire sur-le-champ et sans aucun retard. Cependant, ajouta-t-il, je ne puis pas admettre que, même dans le cas où le plénipotentiaire ottoman voudrait prendre la parole immédiatement, il s’en servît pour présenter des objections, il n’en a pas le droit, puisque son gouvernement a signé le traité de San-Stefano… Une pareille attitude, vis-à-vis d’une commission européenne, indiquerait de la part des plénipotentiaires ottomans l’intention d’entraver la marche des travaux du Congrès. Je ne pourrais le tolérer, et si les plénipotentiaires ottomans y persistent, je déclare que je me verrais obligé et que je suis prêt à donner une sanction pratique à mes observations… (textuel). » (Souvenirs inédits de Carathéodory pacha.) Ces sorties et ces menaces, d’autant plus effrayantes qu’elles étaient plus vagues, faisaient rentrer sous terre « messieurs les plénipotentiaires ottomans, »