compter une convention anglo-turque, du 4 juin, qui viendra au jour bien inopinément ; la France fait état des « réserves » qu’elle a formulées. Quant à la Prusse, elle entend toucher sa commission de « courtier honnête : » elle s’attribue le vaste espoir d’une pénétration germanique en Orient par le fait d’une impulsion définitive vers le Danube, imprimée à sa vieille antagoniste en Allemagne, l’Autriche-Hongrie, et surtout elle escompte l’adhésion tacite des puissances à son hégémonie continentale.
Pour combiner ces divers calculs, préparations et ambitions, la « grande » Europe, celle des cinq puissances, s’arroge le mandat de décider et de trancher. A la porte du Congrès, frappent les petites puissances, les puissances « dans le devenir : » Grèce, Roumanie, Serbie, Monténégro, et même la Perse lointaine. Elles demandent timidement l’entrée ; mais elles sont consignées. Tout au plus, seront-elles admises à exposer leurs « doléances » et à faire entendre leurs « vœux. »
Sur les protocoles du Congrès figurent, seuls, les noms des plénipotentiaires, — c’est-à-dire d’environ vingt personnes qualifiées autour desquelles s’empresse le bataillon zélé des secrétaires[1]. C’est sur cette assistance choisie que le prince de Bismarck exerce son autorité. Nulle part les traits dominans des peuples ne se marquent plus fortement que dans ces assemblées où se rencontrent et s’opposent leurs représentans[2].
Le prince de Bismarck a pris, dès le début, une attitude à la fois très naturelle et très réfléchie. Il est malade et ne peut, sans un effort sur lui-même, assister aux séances. Il se montre donc
- ↑ Les protocoles officiels du Congrès ont été publiés par la plupart des gouvernemens. Il y a un Livre jaune français. Inutile d’ajouter qu’ils offrent une image très incomplète des séances. Voici, d’ailleurs, à ce sujet, l’appréciation d’un des plénipotentiaires : « Les protocoles officiels rapportent fidèlement les travaux du Congrès et en donnent le résumé officiel ; mais, sous l’enveloppe diplomatique qui en recouvre uniformément toutes les parties, on a peine à saisir la physionomie vraie des détails. En outre, les protocoles n’étaient pas relus en séance, et l’on se permettait souvent d’y introduire, après coup, des modifications très importantes. » Souvenirs inédits de Carathéodory pacha.
- ↑ Un petit quadro des coulisses du Congrès : « Avant la séance, nous allâmes au buffet où nous bûmes du porto et mangeâmes des biscuits. Peu à peu arrivaient les plénipotentiaires : le comte Corti, un petit homme laid, avec une figure japonaise, le comte de Launay ; ensuite, le Turc, homme encore jeune, mais insignifiant ; le comte Schouwaloff et le vieux Gortschakoff, chancelant ; enfin les Anglais et les Français, Waddington en grand uniforme. La première rencontre de Gortschakoff et de lord Beaconsfield était intéressante ; c’était un moment historique. » Mémoires du prince de Hohenlohe, t. II, p. 231. Voyez aussi l’intéressant article du comte de Mouy, dans la Revue des Deux Mondes du 1er novembre 1904.