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GUSTAVE MOREAU

Épitaphe.


« La vie est un mensonge et le vrai, c’est le rêve.
Passant, je fus heureux, car, durant de longs jours,
A l’écart d’une foule hostile aux purs amours
Mes fières visions m’ont fait la douleur brève.

Le passé qu’on croit mort dans le présent s’achève :
Les Dieux à mon appel ne furent jamais sourds ;
Pour moi, pensive et nue, avec des joyaux lourds,
Aphrodite oubliait les beaux porteurs de glaive.

Comme l’abeille d’or prompte aux métamorphoses,
Mon âme, errante et vive, en l’infini des cieux,
Poursuit le cours charmant de ses métempsycoses.

Es-tu, tel que j’étais, fidèle et curieux ?
Tu l’entendras passer, prolongeant nos adieux,
Dans le soupir des flots et le frisson des roses. »


VIEUX RENOUVEAU


Comme le chêne qui s’obstine
A garder, sur ses bras de fer,
Malgré verglas, vents et bruine.
Son vieux feuillage en plein hiver,

Débris rouilles, loques tordues,
Mais où survit, jusqu’au réveil
Des pousses vertes attendues,
Le regret doré du soleil,

Plus la neige des ans rapides
S’accumule sur mon front blanc.
Mieux j’y sens battre, sous les rides,
La vie en mon cerveau brûlant,