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« Pourquoi, si la voix humaine possède un charme particulier, devient-elle moins agréable qu’un instrument à cordes ou à vent, quand elle chante sans paroles (quand elle vocalise) ? »

Quelle révélation dans ces lignes ! Quelle lueur tout à coup projetée sur l’obscure question de la valeur des exécutans à Athènes ! Ainsi donc, c’est Aristote lui-même qui nous apprend, le plus inconsciemment du monde, que les artistes de l’Hellade étaient inhabiles à lier le son, à le soutenir, à le développer phonétiquement. Il leur fallait la syllabe, le mot, quelque chose de plus sûr, de plus ferme que le son, un appui, un secours, la perche à saisir quand on perd pied, la consonne qu’on tient entre les dents, qu’on peut mordre ; avant tout la phrase littéraire, la parole.

Cette nécessité, ou plutôt cet idéal, nous allons le retrouver dans les célèbres pièces de provenance grecque recueillies par l’Église latine, toutes syllabiques : Te Deum, Lauda Sion, Veni Creator, Victimæ Paschali, etc. Et s’il est permis de rapprocher deux anneaux de la chaîne immense du développement de notre art, anneaux des plus éloignés, nous le retrouvons bien plus sensiblement encore dans le concept de l’Opéra moderne, dans la Tétralogie, dans la plupart des ouvrages récens. De plus en plus nous y tendons, non seulement en cherchant comme jadis à confondre musique et poésie, mais en marquant chaque jour plus d’éloignement pour les élémens de pure technique vocale. Rares se font les virtuoses, tombée en discrédit la vocalise ; on l’a chassée de la scène, on la pratique de moins en moins à l’école ; ainsi la souplesse se perd, la justesse s’estompe, la longévité de la voix diminue : il ne nous restera plus bientôt qu’à faire parler nos chanteurs et chanter notre orchestre.

Cette décadence technique, Gevaert la constate non sans amertume dans ses commentaires des Problèmes d’Aristote, étude qui trahit une profonde connaissance des doctrines de la science et de l’art des Péripatéticiens, qui pénètre l’âme grecque dans ses replis les plus secrets et nous la révèle avec une abondance de documens, une précision, une clarté sans pareilles : « En somme, l’Hellène semble avoir cherché dans l’audition musicale une jouissance d’ordre intellectuel, faisant consister son plaisir esthétique à comprendre pleinement l’idée du compositeur, à en suivre le développement, à constater la justesse de l’accent et le mouvement caractéristique du sentiment