Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/373

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Qu’est-ce qu’il y a de plus beau qu’une cathédrale gothique ? Une mosquée, auprès d’une cathédrale, n’est qu’un tas de plâtras !… Je suis Oriental, n’est-ce pas, je m’y connais un peu mieux que vous ! Je vis ici, tandis que vous, vous n’êtes qu’un passant ! Eh bien ! vous pouvez m’en croire ! Je ne donnerais pas une pelouse d’Oxford, une terrasse de Versailles pour l’Égypte tout entière !… L’Orient ? Vous ne savez pas ce que c’est ! C’est l’ordure ! C’est le vol, la bassesse, la fourberie, la cruauté, le fanatisme, la sottise ! Oui, je hais l’Orient ! Je hais les Orientaux, tous ces porteurs de tarbouchs, tous ces égréneurs de chapelets !…

Évidemment, ces propos injurieux partaient d’une âme aigrie. Les Syriens sont méprisés par les musulmans d’Égypte : il est assez naturel qu’ils le leur rendent. Et il y avait encore, dans la diatribe de mon compagnon, l’envie plus ou moins consciente de m’étonner, de berner un peu la bonhomie occidentale. Mais j’avais entendu déjà des discours assez semblables dans la bouche d’Égyptiens, mahométans et nationalistes. Seulement, ceux-ci ajoutaient : « C’est la faute des Anglais qui nous laissent croupir dans la misère et dans l’ignorance ! Ah ! si nous étions nos maîtres, vous verriez comme tout changerait !… »

Cependant, des déclarations de ce genre vous donnent à réfléchir. Vous désirez en savoir plus long. Des lettres de recommandation vous ont été remises pour des notables indigènes. Vous en faites usage. Un aimable homme s’offre, avec empressement, pour vous guider à travers sa ville et vous la commenter, Il parle notre langue ni plus ni moins correctement que la majorité des Français. Il a étudié chez les Jésuites du Caire, puis dans une de nos facultés du Midi, — Aix, Toulouse ou Montpellier, — il est bachelier, licencié, docteur en droit. À la coiffure près, vous pouvez avoir l’illusion de vous promener avec un compatriote.

Naturellement, il vous montre de préférence les quartiers nouvellement construits, il a soin de vous faire passer devant les palais et les villas les plus modern-style, devant les hôtels les plus fastueux. Au fond, — et quoi qu’il dise, par pur snobisme européen, — il est très fier de tout cela. Il vous entraîne vers le grand pont de Gezireh, à l’heure élégante, où les plus beaux équipages du Caire rentrent de la promenade. Tout le long de la rue Kasr-en-Nil, où s’échelonnent les banques, les grands magasins, les agences diplomatiques, c’est un défilé ininterrompu