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Mais quiconque a vu les Arabes d’Algérie ou du Maroc ne trouvera qu’un agrément médiocre à regarder les foules populaires de l’Orient. Mettons à part les Bédouins de Syrie qui ont une assez fière prestance : tout le reste est quelconque. On dirait qu’à mesure qu’on avance vers le Levant, les costumes s’étriquent et perdent de leur noblesse. Ni le caftan, ni le gombaz n’ont les beaux plis amples du burnous. Cela tombe tout droit et cela vous engaine comme un fourreau. Il y a d’ailleurs, chez ceux qui les portent, une tendance de plus en plus marquée à choisir des couleurs ternes, des draps noirs ou gris. La galabieh de la plèbe égyptienne est une simple blouse qui ne saurait rivaliser, pour l’ampleur et pour l’éclat, avec la gandoura algérienne. Elle est uniformément bleue, de même que les voiles des femmes sont uniformément noirs. Et les tcharchaffs des dames orientales, — égyptiennes, syriennes ou turques, — sont également noirs, et noires aussi les voilettes qui leur cachent le visage. De sorte que la tonalité générale, — contrairement à ce qu’on espère, — est plutôt lugubre, ou tout au moins assez sombre... Quand je partis pour l’Egypte, un peintre de mes amis, amoureux de la couleur et de la lumière sahariennes, me dit, à ma grande stupéfaction : « Ah ! vous allez-là-bas ! Je vous plains ! L’Egypte est un pays noir ! » L’Egypte un pays noir ! quel paradoxe ! Et cependant, c’est au moins vrai pour le Delta du Nil. Les masures grisâtres construites avec la boue du fleuve, les petits palmiers rabougris et brûlés, les voiles noirs des femmes, les grandes plaines limoneuses, et nues après la moisson, tout cela compose, sous le ciel mat et embué de poussière, une gradation de teintes neutres, qui n’est pas sans tristesse[1].

Les physionomies et les types sont à l’avenant des costumes. Ici encore, comme pour les Bédouins de Syrie, il faut faire une exception en faveur des Turcs, de race ou de formation militaire : ceux-là offrent un caractère indéniable d’aristocratie.

Mais tous les autres, — tous ces Levantins courbés sous l’esclavage depuis des milliers de siècles, vivant de trafic, de pilleries ou de métiers louches, — ils ne trahissent, sur leur figure, comme dans leur maintien, que la ruse mercantile, la bassesse sournoise, ou la placidité molle des gens habitués à

  1. Qu’on me permette de citer ici un mot d’Octave Uzanne qui exprime à merveille la mélancolie du Delta, à de certaines époques de l’année : « L’Égypte, c’est la Bretagne de l’Orient. »