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5 octobre.

Tu t’es laissé séduire par le serpent Villemain, comme nous n’en doutions pas. Tu as eu tort et tu as mal négocié. Il fallait une extrême violence et un dernier mot brutal. Les deux ou trois dernières lettres de Villemain, et entre autres ce matin, sont des chefs-d’œuvre de prétextes de mauvaise foi et de contradictions pour gagner le tems de me jouer sans danger. Il faut qu’il me loue à présent qu’il y va de sa vie ministérielle. Tout est mensonge. Nous sommes indignés, la ville, les amis, les ennemis et moi. Cela ne peut pas se terminer ainsi. Je me brouille décidément avec lui et avec le ministre qui s’est engagé et qui me laisse le rôle compromis et désavoué. Mon honneur et ma situation seraient perdus ici, si je restais l’ami d’un cabinet qui m’a joué ainsi, moi et mon pays. S’il en est temps, vois-le encore.


20 février 1842[1].

... Je livre de grands combats à coups de poing sur la tribune et je deviens le Lafayette de l’opinion, comme dit le populaire, en attendant que, dans cinq ou six ans, je devienne le Casimir Perler de l’ordre ou que je moisisse philosophiquement à Saint-Point entre David et Bernardin de Saint-Pierre, mes deux philosophes...

12 juillet 1842."

Le ministère m’a hier envoyé offrir la Présidence. Je refuse. M. de Metternich m’a fait inviter vivement au Johansberg où tous les souverains allemands seront réunis. Ils me considèrent tous comme le pivot de la concorde future et n’ont foi qu’en moi. Je suis accablé de leurs offres de confiance. Je n’irai ni ici ni là... Quant à la présidence refusée, c’est calcul, réflexion et politique. Le rôle de cariatide n’est pas mon rôle. C’est la gri mace de la force et non la force.

Les élections connues sont pitoyables. Tout ce qu’on renvoie est plat, tout ce qu’on introduit mauvais. Le temps se charge. Je ne le croyais pas si tôt. Ce pays-ci va toujours plus vite que la prévoyance. L’opposition sera immense et bête.


Monceau, 28 novembre 1842.

Je vais faire quatre ou cinq ans de grande et généreuse opposition, puis, les vieilleries de 1830 étant usées, on se jettera comme dernière ressource dans nos bras. Vous savez que je n’ai jamais douté du coup. En attendant, vous allez me voir exécré et outragé par les deux partis. J’en ai l’habitude et je m’en moque. Et non seulement je m’en moque, mais je m’en sers. La vague mouille, mais elle porte. Il en est ainsi de la colère des partis.

J’attends ces jours-ci Girardin qui vient me faire oralement des propositions que je suppose de M. Molé et du Roi. Je ferai semblant d’écouter. Mais, entre nous, mon oreille est ailleurs.


On voit grandir à travers ces lettres le désir où est Lamartine de se brouiller avec le pouvoir et se préciser à son esprit

  1. A M. de Mentherot.