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LE « SERPENT VILLEMAIN » ET LE « LAFAYETTE DE L’OPINION »

Le retour de Thiers, puis de Guizot aux affaires le rejette du côté des mécontens. « M. de Lamartine est furieux de la politique actuelle, » écrit Mme de Lamartine, le 17 août 1840. L’année suivante, c’est la question des fortifications de Paris. « Tout le monde les maudit en province, » déclare Lamartine. Puis ce fut une affaire locale. Salvandy lui avait, en 1839, promis de créer pour lui un collège royal à Mâcon. Le nouveau ministre se dérobait. Lamartine, retenu en province, chargea Mme de Lamartine, alors à Paris, de suivre l’affaire, de réclamer auprès du gouvernement, et de lui faire peur.


Monceau, 2 octobre 1841[1].

Je t’envoie une dernière lettre à Duchatel pour lui et M. Guizot. C’est une déclaration nette et dernière d’hostilité, si le collège n’est pas donné avant quelques semaines. Ils se jouent de moi. C’est indigne envers un homme qui leur a tant rendu de services et qui a refusé tout pour lui-même. Villemain est un esprit, mais c’est moins qu’un homme. La ville est révoltée.

J’ai eu hier le fameux Conseil municipal... On m’a chargé de tout à l’unanimité en faisant des concessions encore de formes et de 20 000 francs de plus que les devis. La ville et moi marchons divinement ensemble. Les républicains se jettent de plus en plus dans mes bras avec estime et confiance. Ils sont démoralisés, quant à la République, et aiment mieux moi qu’un autre. Dis cela à Aimé Martin et à M. Chevalier, et à Duchatel. Je leur ai toujours prédit, mais je ne le croyais pas sitôt.

Les ordonnances, les circulaires, l’attitude de poing levé du ministre le perdent ici dans l’opinion de tout le monde. M. Martin et M. Guizot en 1841 ressemblent trop aux mêmes hommes en 1833 ; ils n’ont qu’un tour dans leur bissac. Cela n’ira pas loin. Si je ne suis pas brouillé avec eux dans trois mois, j’aurai bien de la peine à les défendre même comme pis aller. Mais leur conduite quant au collège m’indigne. Un Quinet rémunéré pour deux brochures révolutionnaires et injurieuses au ministère, et M. de Lamartine bafoué devant ses concitoyens pour les avoir défendus et mis debout ! Voilà ce qu’il faut que tu leur dises. L’ordonnance du collège ou le mécontentement le plus prononcé. Fais remettre ma lettre à Duchatel directement et vite entre ses mains, et dis-leur bien que je ne leur écrirai plus un seul mot. Mécontentement affiché, froideur et cessation de rapports personnels avec tous, voilà mon ultimatum et j’y tiendrai. Car M. Guizot s’était engagé comme M. Villemain.

  1. A Mme de Lamartine.