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Paris, 22 août.

Ma chère Marianne, je me hâte de t’écrire que j’ai parlé hier plus d’une heure à la Chambre et avec un succès tel que la gauche et la droite se sont levées tout entières à la fin, sont descendues des bancs en criant bravo, et m’ont entouré et pressé, à ne pas pouvoir m’en dégager pendant dix minutes. Le mouvement d’approbation et d’enthousiasme amical a même été suivi par beaucoup de membres des centres, entre autres Thiers, qui s’écriait après une vive discussion sur les principes avec M. de Fitz-James : « Au reste, c’est un magnifique talent et une admirable position ! » Cela a paru le sentiment unanime. J’ai été accompagné chez moi par plus de vingt ou trente députés. Tu ne verras pas le discours à beaucoup près aussi bien que je l’ai prononcé, parce que j’ai beaucoup et fortement improvisé et que plusieurs des mille passages ainsi inspirés sont omis même au Moniteur. Je crains de n’avoir pas les journaux de demain, parce que je suis monté à quatre heures à la tribune et n’en suis descendu qu’à cinq heures un quart. Les colonnes étaient pleines et demain, au lieu des pétitions qui m’auraient laissé place, la discussion continue. J’espère cependant être en entier dans la Gazette, le n’y suis ce soir qu’à moitié, mais bien.

L’effet de ce discours dépasse tout ce que j’ai eu jusqu’ici. On dit que j’ai fait des progrès dans l’élocution, la voix, le geste, et pour le sens on est unanimement content, excepté Sauzet que j’ai pris corps à corps et M. Guizot. Je me hâte de te dire tout cela pour bien te tranquilliser sur l’effet. Il est plus fort même que je ne le dis et je crois que la lecture n’y gâtera rien, parce que le sens en est juste et frappe avec proportion sur tous les sentimens que je voulais toucher. Tu sais que, quelques jours après, mes discours sont mieux sentis.

Je pense que je serai attaqué demain et je répondrai si cela vaut la peine. Je discuterai ensuite les théâtres et les cautionnemens, mais sans politique et en juriste et brièvement. Ceci nous replace dans la meilleure et la plus sympathique situation à la Chambre. Je ne peux pas te citer en ce genre toutes les tristes confidences et propos échappés. Jusqu’à M. Odilon Barrot s’est échappé de son banc, et, malgré notre ministre, est venu en traversant la salle me prendre les mains et s’écrier que c’était une des choses les plus belles et les plus nobles qu’il eût entendues. Salverle aussi, M. de Fitz-James et la droite de même. Je t’écris, en attendant les épreuves que le Moniteur doit m’envoyer corriger. Il est dix heures du soir : je ne me coucherai pas avant minuit pour tout cela.

Remercions Dieu de nous être heureusement tiré de ce pas difficile ! Janvier est à pendre et à dépendre ce soir ; des Hermeaux[1] yvre d’amitié et contentement. Adieu.

  1. On lit dans Lamartine par lui-même, p. 337 : « J’allai chercher sur les bancs les plus élevés et les plus infréquentés de la droite une place solitaire et neutre où je ne tardai pas à être rejoint par M. des Hermeaux, jeune royaliste entrant ce jour-là à la Chambre dans des sentimens et dans des dispositions parfaitement conformes aux miens… Nous fûmes rejoints, quelques jours après, par M. Janvier, jeune avocat de Paris qui venait de se signaler dans la défense de l’abbé de Lamennais, royaliste alors… »