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d’exception où il se place en dehors des partis. Certes il ne se trouvait en sympathie complète avec aucun d’eux. « Je ne voulais être, a-t-il écrit plus tard, ni du parti du gouvernement que je n’aimais pas, ni du parti légitimiste qui n’avait plus de sens que sa mauvaise humeur, ni du parti de l’opposition ultra-libérale que je n’estimais pas, ni du parti du silence et de l’expectative qui était l’opposé de ma nature[1]. » Certes encore il n’est pas d’humeur à entrer dans les intrigues des uns et des autres. Mais la raison à laquelle il obéit est plus profonde. En passant homme d’Etat, il reste le lyrique et le romantique qu’il a toujours été, incapable de se dégager de lui-même, dominé par l’exclusive tyrannie du Moi. Comme il a fait de la poésie personnelle, il fait de la politique personnelle.

Pour être d’un parti, Lamartine n’avait qu’une ressource : le créer. Ce fut le « parti social. » Ce fameux parti social, dont il promet toujours pour le lendemain le programme complet et la constitution définitive, il en recommence, à maintes reprises, le dénombrement ; ils sont un jour trente, et vont un autre jour à la soixantaine : tout compte fait, ils sont un. Lamartine est trop avisé pour s’y tromper ; mais ce splendide isolement n’a rien qui lui déplaise.

Un autre caractère non moins essentiel pour expliquer sa politique, et qu’il est important de noter à cette date, c’en est l’orientation vers l’avenir. Lamartine, aux premières années de la Monarchie de juillet, n’est pas l’homme du moment ; il le sait ; mais son heure peut venir. Donc il s’adresse à la jeunesse, à ceux qui plus tard seront l’opinion et la force. Il songe aux masses dont l’instinct, d’abord confus, se dégage et se précise avec le temps, pour devenir un jour pensée directrice. Il n’attend pas les premières déceptions de la vie parlementaire pour se résoudre à parler « aux murs, » — à ces murs par delà lesquels il y a le pays. Les hommes s’usent, les événemens vont vite : il faut être prêt. Celui-là a les plus grandes chances qui, sans dévoiler encore toute la « vertu » qui réside en lui, a su inspirer une grande attente.

  1. Lamartine par lui-même, p. 336.