Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/277

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la « stratégie oiseuse[1]. » Le cabinet de Londres, exigeant la communication entière du traité et Gortschakoff s’en tenant à sa formule, on allait à la rupture et peut-être acceptait-on cette perspective assez philosophiquement à Berlin. C’est alors que le comte P. Schouwaloff, ambassadeur de Russie à Londres, prit sur lui, dans un entretien avec lord Salisbury, de dire à celui-ci, qu’à son avis, les deux puissances devaient s’arranger directement et « préciser celles des parties du traité de San-Stefano qui pouvaient être maintenues, celles qui pouvaient être modifiées. Si une entente pouvait s’établir sur ce point, ajouta l’ambassadeur, nous trouverions une issue au dead-lock, dans lequel nous étions engagés. »

La démarche tendait à détacher l’Angleterre du concert qui s’était formé contre la Russie, et surtout à placer le prince de Bismarck en présence d’un fait accompli. L’Angleterre prenait la main, si elle s’abouchait avec l’ambassadeur.

Lord Salisbury réfléchit pendant quelques instans et répondit à peu près dans ces termes : « Si nous nous mettions à discuter ces points comme vous le proposez, cela deviendrait public ; et nous ne voudrions pas traiter avec vous isolément, mais bien de concert avec les autres puissances. » L’ambassadeur promit que la négociation serait absolument secrète ; si l’examen entrepris par le ministre et par lui paraissait satisfaisant, il irait, lui-même, en informer Saint-Pétersbourg. Lord Beaconsfield consulté donna, avec entrain, son assentiment. Les négociations durèrent une semaine entre le ministre et l’ambassadeur. Elles préparèrent la convention secrète qui fut signée le 30 mai. Évidemment, le comte Schouwaloff n’avait pu aller aussi loin sans avoir obtenu l’autorisation de son gouvernement.

Les lignes générales de l’accord étaient les suivantes : la Russie consentait à réduire considérablement les proportions de la principauté de Bulgarie ; en fait, abandonnant l’idée du démembrement de la Turquie d’Europe, elle laissait la vie à l’Empire ottoman ; par contre, l’Angleterre ne faisait plus d’objection au développement slave en Asie ; notamment, elle acceptait la prise de possession, par la Russie, de Kars et du port de Batoum. En outre, la Russie soumettait l’ensemble du traité de paix au contrôle des puissances signataires du traité de Paris.

  1. Souvenirs inédits du comte P. Schouwaloff.