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proie ? L’objectif sacré de la campagne, c’était Sainte-Sophie ; l’Empereur avait dit au grand-duc : « Constantinople !... » L’erreur de quatre siècles allait-elle être réparée, les chrétientés d’Orient, délivrées ? Qui s’élèverait contre la parole du tsar libérateur et victorieux ?

En Europe, les puissances étaient déçues, irritées. Mais c’était à qui ne bougerait pas. La concordance des événemens doit être signalée : en France, les républicains arrivent au pouvoir ; en Italie, M. Crispi. Victor-Emmanuel meurt, bientôt le Pape. Le prince de Bismarck se tait, mais il travaille. C’est l’heure où il négocie un projet de voyage de M. Gambetta à Berlin. Il contient l’Autriche, anxieuse de ce qui se passe. Il n’est pas sans communications avec l’Angleterre. Dans les premiers jours de l’année 1878, le comte Munster, ambassadeur d’Allemagne à Londres, esprit très positif et très froid, est l’hôte de lord Derby à la campagne : longs entretiens. Midhat pacha est à Londres. Lord Derby, selon sa méthode, patiente toujours : il ne voudrait pas se lancer seul. Il attend que l’Autriche-Hongrie, dont il se méfie encore, prenne les devans.

L’opinion publique anglaise est aux champs. Il est dans la nature des choses que ce soit le Parlement britannique qui allume les feux. Le 13 janvier, jour où les plénipotentiaires turcs quittent Constantinople pour se rendre au quartier général russe, un débat s’engage à la Chambre des communes. Un enfant terrible, qui fut souvent un précurseur, sir Charles Dilke, propose que l’Angleterre, sans tant de façons, prenne sa part du gâteau et s’adjuge l’Egypte. Une telle proposition paraît scandaleuse : sir Charles Dilke est fort mal reçu[1]. Lord Beaconsfield prononce un discours hautain et presque menaçant. Cependant, lord Derby pense qu’on peut négocier encore.

Abandonnant le terrain des intérêts, il rend publique la notification qu’il a faite à la Russie, à savoir que toute convention modifiant les traités de Paris (1856) et de Londres (1871) est un acte européen et doit être soumis aux puissances. La déclaration a été faite simultanément, à Saint-Pétersbourg, par les cabinets de Londres et de Vienne. Quant à l’occupation de Constantinople, le gouvernement britannique demande qu’aucune force russe ne soit envoyée dans la péninsule de Gallipoli. Pour

  1. Mémorial diplomatique, année 1878 (p. 47).