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Les Turcs n’avaient pas su tirer parti du répit inespéré que leur laissait l’admirable défense de Plewna. En Asie, leur position n’était pas meilleure. Mouktar pacha, après ses premiers succès, au lieu de les confirmer par une offensive vigoureuse, s’était contenté de harceler l’ennemi : celui-ci s’était reformé ; le grand-duc Michel et Loris Mélikoff avaient reçu de puissans renforts. En octobre, ils attaquent le général turc, retranché en avant de Kars ; ils le battent et le repoussent en Arménie. Kars est investi pour la seconde fois ; pendant un mois, après une série d’alertes qui épuisent la garnison, montant à 20 000 hommes, celle-ci essaye de s’échapper ; elle est enveloppée et faite prisonnière. La ville elle-même, qu’on eût crue imprenable, est emportée par un assaut héroïque. Les Turcs se replient sur Erzeroum. Mouktar pacha est rappelé en Europe avec une partie de ses troupes. La chute d’Erzeroum n’était plus qu’une question de temps quand intervint l’armistice.

L’hiver n’avait pas interrompu la campagne en Europe. Plewna tombé, rien n’arrêtera plus la marche en avant des armées russes. Malgré des épreuves terribles, malgré les glaces, les neiges, un froid exceptionnel, au prix de souffrances et de privations inouïes, elles franchissent les Balkans par toutes les passes.

C’est un mouvement magnifique sur l’immense largeur de la péninsule. A l’ouest, les Monténégrins poussent les Turcs devant eux ; ils occupent Antivari, le 10 janvier, et assiègent Scutari ; plus en avant, l’armée serbe, qui est entrée en ligne, gagne la victoire de Pirot et s’empare de Nisch ; plus au centre encore, le général Gourko est vainqueur à Taschkesen et passe la ligne des montagnes dans les premiers jours de janvier. Radetzki, combinant son mouvement avec Mirsky et Skobeleff, cerne et fait prisonnier Wessel pacha qui défendait la passe de Chipka avec une armée de 30 000 hommes.


Nous renonçons, dit un témoin oculaire, à décrire l’enthousiasme qui, au reçu de cette nouvelle, éclata dans tout le quartier général. Le grand-duc sortit de chez lui en criant hourrah ! et en annonçant la grande nouvelle. Des milliers de voix firent écho à ses cris, et bientôt ce ne fut plus qu’un immense vacarme où se mêlaient les chants et les acclamations, tandis que la musique jouait l’hymne national : Bojié tzaria Krani (9 janvier).


C’était la fin soudaine et presque imprévue de tant d’angoisses