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se présentait nullement comme l’homme de la guerre sainte. On se sentait en présence d’un homme qui, ayant brûlé ses vaisseaux, voulait arriver. — désir d’autant plus naturel que sa tête était l’enjeu de la partie qu’il avait engagée, — mais qui comprenait fort bien l’obligation, pour se maintenir ensuite, de ménager tous les intérêts et toutes les convenances internationales. Nous avons regretté, pour notre compte, qu’on ait mis une affectation croissante à le dénoncer comme un ennemi en quelque sorte nécessaire, au risque de le condamner par désespoir à recourir, en effet, aux pires violences et à réaliser tout ce qu’on avait dit de lui. S’il a cédé quelque chose à des passions qu’il ne paraissait pas partager, il ne l’a fait que dans une assez faible mesure, et parce qu’on l’avait mis dans une situation telle qu’il ne pouvait pas faire autrement. On n’en a pas moins accumulé tous les griefs contre lui ; on l’a accusé de toutes les perfidies ; on lui a fait une terrible guerre de plume. A notre avis, mieux aurait valu se taire et attendre les événemens. Mais enfin, de tout cela, que reste-t-il aujourd’hui ?

Aussitôt que la défaite d’Abd-el-Aziz a été connue, un grand mouvement a eu lieu à Tanger. La population arabe tout entière s’est livrée à des transports de joie qui ont permis de mesurer la popularité dont, là comme ailleurs, jouissait le malheureux vaincu. L’emportement des esprits a été si vif qu’il est devenu dangereux de ne pas procéder tout de suite à la proclamation de Moulaï Hafid. Les tribus des environs commençaient à s’agiter, et, dans la ville même, les exigences de l’opinion étaient plus impatientes d’heure en heure, presque de minute en minute. Les représentans d’Abd-el-Aziz, ses fonctionnaires, les ministres qu’il avait investis de sa confiance et qui lui étaient restés fidèles jusqu’à la dernière heure, avaient compris que cette heure avait sonné et s’étaient déjà tournés du côté du soleil levant : nous voulons parler de Si Mohammet Guebbas, ministre de la Guerre, et de Mohammet et Torrès, représentant du Sultan pour les Affaires étrangères. Sans doute, ils n’étaient pas sans craintes sur le sort qui les attendait ; mais un homme qui, habitant Tanger depuis quelque temps, y avait gardé jusqu’alors une attitude très réservée, a tout à coup parlé et agi au nom de Moulaï Hafid et a rassuré tout le monde. Loin d’être disposé à exercer des représailles, le nouveau Sultan se présentait, par la bouche d’El Mnebhi, en médiateur et en conciliateur. El Mnebhi a été autrefois ministre de la Guerre ; il avait alors toute la faveur d’Abd-el-Aziz ; il l’a perdue subitement par un de ces caprices qui ne laissaient aucune sécurité aux serviteurs du Sultan