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redoutait que la papauté n’encourût les critiques superficielles de l’opinion laïque en se donnant même les apparences d’être un pouvoir sans contrôle et sans frein. Ketteler drapait, dans sa robe d’évêque, un féodal, un décentralisateur, un autonomiste convaincu ; à force de haïr l’absolu dans l’humanité, il en était venu à craindre que le vicaire de Dieu, — un homme, — ne fût en quelque mesure dépositaire de l’absolutisme divin.

Son vicaire-général Moufang, qui passa quelques mois à Rome comme consulteur, était nettement hostile au projet de définition. « Je crois à l’infaillibilité, disait-il un jour à Manning, mais je considère comme inopportun de la définir à présent ; » et sur l’invitation de l’archevêque anglais, il indiqua par écrit douze raisons d’ajournement. Pie IX, expliquait-il en substance, était armé par le décret du concile de Florence et par le Credo du pape Pie IV ; un respect presque universel accueillait ses décisions ; que voulait-on de plus ? et pourquoi s’engager en d’épineux débats sur les conditions d’exercice de l’infaillibilité ? Une définition ayant trait à l’autorité même de l’Église était d’une délicatesse tout exceptionnelle. Si les évêques se divisaient, ce serait d’abord très triste, et puis quel parti prendrait-on ? S’ils adhéraient d’une seule voix à l’infaillibilité, on dirait qu’ils abdiquent leur autorité dogmatique ; on en profiterait pour les déprécier, et eux-mêmes, peut-être, se relâcheraient et s’attiédiraient dans leur mission traditionnelle de juges de la foi. Par surcroît, la définition serait un obstacle à la réunion des Églises, elle gênerait le retour des protestans à l’unité, elle pourrait troubler les consciences catholiques ; elle provoquerait l’afflux à Rome, non point seulement des questions de doctrine, mais d’une multitude d’affaires, qui encombreraient les congrégations, et fallait-il ainsi développer la centralisation romaine aux dépens des autres membres de l’Église ? Manning répliqua point par point à ces objections de Moufang, mais sans réussir à le convaincre. Il semble bien, — c’était l’impression de Manning, — que le point de vue de Ketteler à l’origine était exactement celui de Moufang. Mais on se convainquit bientôt à Mayence que l’infaillibilité personnelle du Pontife préoccupait trop vivement la chrétienté pour être passée sous silence au prochain concile, et tandis que Moufang, au début de l’année, était plutôt d’avis qu’on ne regardât point la question, Ketteler et Heinrich, vers l’été, pensèrent au contraire qu’il la fallait étudier, et même