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nos peintres, triste conséquence de cet esprit d’anarchie et de révolte qui aujourd’hui souffle presque partout où il y a des hommes assemblés. Pendant un séjour assez long fait à Rome, en 1852, j’ai pu, grâce à des relations affectueuses nouées avec les pensionnaires de la Villa Médicis, pénétrer alors dans l’intimité de quelques-uns et bien connaître leur vie. Que de charme elle avait pour eux, paisible et bien remplie comme elle l’était ! Plus tard, dans leurs lettres ou leurs conversations, ils ne cessaient pas d’en vanter les douceurs, de dire tout ce qu’ils devaient à une période qu’ils considéraient comme la plus heureuse de leur carrière. Libres de toute préoccupation matérielle, — et pour beaucoup c’était la première fois qu’ils goûtaient cette fortune, — ils profitaient avec ardeur de toutes les ressources offertes libéralement à leur instruction. Ils trouvaient légères les quelques obligations professionnelles auxquelles ils s’étaient engagés et mettaient leur conscience à s’en acquitter de leur mieux, au moment prescrit. Les journées étaient consacrées au travail, à la fréquentation des musées, des palais, des églises, aux études d’après nature faites dans les villas voisines ou dans la Campagne romaine. Le soir, dans quelque atelier, les heures s’écoulaient rapides en longues discussions mêlées de folles plaisanteries ; ou bien, groupés autour du piano d’un musicien, ses camarades étaient initiés par lui aux œuvres des grands maîtres. On échangeait ses idées, ses confidences, ses projets d’avenir, avec la chaleur juvénile d’artistes épris de leur art, pleins d’admiration pour les chefs-d’œuvre qu’il a produits. Les visites des membres de l’École d’Athènes, — l’hospitalité a toujours été largement pratiquée entre les deux Écoles, — les souvenirs de voyages faits ensemble, apportaient à ces réunions un appoint d’intérêt également fécond pour les uns et les autres. On se retrouvait à la table commune, aux réceptions du directeur, dans les salons des ambassades où l’on côtoyait l’élite de la société cosmopolite de passage et de la colonie étrangère fixée à Rome. Tout cela faisait alors de la Villa Médicis un merveilleux foyer de culture mutuelle, d’amitiés vivaces et d’aspirations élevées.

Depuis, en revenant à diverses reprises à Rome, j’ai eu l’occasion de constater un changement graduel dans les mœurs et les habitudes des pensionnaires. Bien mieux partagés cependant que leurs prédécesseurs, ils ont aujourd’hui des exigences que