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A Madame de Lessert, à Lyon.


A Bourgoin, le 24 août (1768].

Voici, chère cousine, une lettre pour Mme Renou, que je vous envoie ouverte pour éviter d’inutiles enveloppes, puisqu’il n’y a rien dans deux cœurs qui vous aiment qui ait besoin de vous être caché. Depuis cette lettre écrite, j’ai presque pris absolument la résolution de sortir de France, tant sur l’histoire du chamoiseur de Grenoble, que sur le changement que je remarque ici depuis mon arrivée, ayant été d’abord reçu avec accueil, avec amitié, et voyant journellement un changement frappant sur les visages et dans les yeux, qui m’annonce celui des cœurs. L’aliénation qui ne saurait être plus prompte ni plus marquée m’apprend que je suis suivi et que je le serai partout ; mais qu’on me maltraite en Piémont, j’y serai moins sensible, au lieu que les outrages des Français me déchirent le cœur. Ainsi ma résolution est autant que prise, de sorte que, ne pouvant louer ici de voiture, je serais d’avis que Mlle Renou prît à Lyon une chaise pour Chambéry dans laquelle elle viendrait coucher ici, et nous partirions ensemble le lendemain. Cela suppose qu’elle veut me suivre, comme elle y a paru résolue ; car vous pouvez comprendre que le parti qu’elle prendrait de rester serait non seulement le plus sage pour elle, mais de beaucoup le moins embarrassant pour moi, qui de plus ne pourrai lui sauver les fatigues et le mal être qu’elle sera souvent forcée à partager avec moi. Toutefois je la laisse libre. Je ne m’opposerai jamais, si elle le veut, et à tout risque, à ce que nous finissions nos malheureux jours ensemble et à la consolation qu’elle me ferme les yeux.

J’ai pris grande part, chère amie, à la joie que vous avez eue de rouvrir vos bras, non pas au meilleur, car cela n’est pas possible, mais au plus cher de vos amis. Aimez toujours l’un et l’autre, le plus malheureux sans doute, mais le plus tendre et le plus vrai que vous aurez jamais.


A Madame de Lessert, née Boy de La Tour, à Lyon.


A Bourgoin, le .. août 1768.

Je me hâte, chère cousine, de vous apprendre que ma sœur, par la grâce du Prince, est devenue ma femme par la grâce de