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obscurité encore plus prolongée, puisqu’elle a duré toute une nuit. M. Pataud a éprouvé le besoin de nous donner un nouvel avertissement, et il a été assez bon prince pour en réduire la durée à deux heures seulement. Ce sont jeux de prince, en effet ; un grand nombre de pauvres gens en ont pâti, et quelques-uns, qui vivaient du travail de leur soirée, dans des théâtres ou des concerts par exemple, se sont vus privés de leur modeste salaire ; ils ont payé les frais de l’avertissement adressé aux bourgeois. M. Pataud n’avait pas à se gêner pour d’aussi petites gens : il accomplissait un acte politique, et la grande politique fait toujours quelques victimes. On dit cependant qu’une de ces victimes se montre récalcitrante et poursuit M. Pataud en dommages-intérêts : les tribunaux, nous l’espérons bien, lui donneront raison. Il est absurde de prétendre que l’émeute de Villeneuve-Saint-Georges ou l’obscurité répandue sur Paris pendant plusieurs heures soient des faits de grève, et par conséquent des faits licites. Une émeute est une émeute, un délit est un délit, de quelque apparence qu’on cherche à les couvrir. Les actes dont il s’agit ne se rattachent pas à l’ordre économique, mais bien à l’ordre politique et quelquefois même à l’ordre privé. Si on le conteste, il faut approuver le gouvernement d’avoir laissé en liberté un escroc de droit commun, condamné par les tribunaux, parce qu’il travaillait à une grève, et que ce genre de travail est sacré ; il donne des immunités particulières. Depuis, l’escroc en question a été arrêté dans la bagarre de Villeneuve-Saint-Georges : il a été condamné de nouveau et cette fois emprisonné. Il doit avoir une bien triste idée de la logique du ministère ! Pourquoi l’avait-on laissé en liberté, si ce n’était pas pour qu’il pût aller à Villeneuve-Saint-Georges ? Il y était à sa place, et il pouvait croire qu’il y était avec une autorisation spéciale du gouvernement. On cherche une politique, on ne trouve que l’incohérence.

C’est sans doute à cette impression d’incohérence qu’il faut attribuer la piteuse attitude des directeurs des secteurs électriques qui, appelés par le président du Conseil après la grève, ont reçu de lui des propositions qu’ils n’ont point acceptées. M. Clemenceau parlait cependant, cette fois, en homme de gouvernement. Il avait peu goûté la mauvaise plaisanterie du citoyen Pataud, et il se montrait justement inquiet des conséquences qu’elle pouvait avoir si on ne prenait pas des mesures énergiques pour décourager toute récidive. Au premier moment de la grève, il avait fait appel à des électriciens militaires qui auraient pu être substitués rapidement aux