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qui a dissipé certaines illusions, n’en conserve-t-il pas pour son propre compte ? « Nous n’entrons pas, dit-il, à la C. G. T. pieds et poings liés. Nous resterons dans tous les cas maîtres de notre action. Ce n’est pas parce qu’elle est affiliée que la Fédération des mineurs pourra enfreindre l’article de ses statuts qui oblige de procéder à un référendum avant de déclarer la grève générale. Non, pas plus demain qu’hier, on ne verra les mineurs abandonner le travail brusquement, un beau matin, sur un mot d’ordre donné la veille au soir. Cela, vous pouvez l’annoncer avec certitude. » Est-ce bien sûr ? Que signifie l’affiliation si elle n’établit pas une certaine dépendance de la Fédération à l’égard de la Confédération ? Et si cette dépendance n’allait pas en s’accentuant, ce serait la première fois qu’un pareil miracle se verrait.

M. Basly explique comment l’affiliation s’est faite, et son explication nous donne une inquiétude de plus. On voulait faire, dit-il, l’unité minière, et déjà un certain nombre de syndicats, qui étaient sans nul doute les plus violens et les plus enclins aux procédés révolutionnaires, s’étaient affiliés à la Confédération générale, auprès de laquelle ils avaient trouvé appui et concours dans des momens difficiles. La reconnaissance, qui est un beau sentiment, les y enchaînait. Alors, puisqu’ils ne voulaient à aucun prix quitter la Confédération générale, il a bien fallu que les autres y allassent, puisqu’on voulait faire l’unité, et il y a tant d’avantages à l’unité, que M. Basly aime encore mieux qu’elle se soit faite ainsi, que si elle ne s’était pas faite du tout. Néanmoins, il reste mélancolique et nous le restons avec lui. On voulait faire l’unité, soit ; mais comment ne pas constater que, pour la faire, les modérés ont été aux violens et non pas les violens aux modérés. N’en est-il pas toujours ainsi ? Le premier pas est fait : où les autres nous conduiront-ils ?

« Abandonner le travail brusquement, un beau matin, sur un mot d’ordre donné la veille au soir, » M. Basly nous assure que les mineurs du Pas-de-Calais ne le feront jamais : en attendant, on le fait couramment à Paris. Nous avons parlé de la grève de vingt-quatre heures, ordonnée par la Confédération générale, qui a entraîné la sanglante échauffourée de Villeneuve-Saint-Georges : après celle-là, nous en avons eu une autre, qui n’a pas eu et ne pouvait pas avoir d’aussi douloureuses conséquences, car elle n’a duré que deux heures. C’est la grève des électriciens ; elle a été faite sur l’ordre du citoyen Pataud, qui d’ailleurs n’en était pas à sa première expérience : c’est lui qui une première fois, il y a dix-huit mois, a plongé Paris dans une