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grand nombre de cliens à servir, il s’aperçut qu’il venait de chasser un mendiant, presque sans se rendre compte de ce qu’il faisait. « Si cet homme était venu à moi de la part de l’un de mes nobles amis, se dit-il, de tel comte ou baron, sûrement il aurait obtenu cet argent qu’il me demandait ! Or voilà que celui-ci est venu de la part du Maître des Maîtres ; et moi, je l’ai laissé s’en aller les mains vides, et même en lui adressant de dures paroles ! » Si bien qu’il résolut, depuis ce jour, de ne jamais rien refuser à tout homme qui viendrait le solliciter au nom de Dieu, — per amor di Dio, comme disent toujours les mendians italiens.


Il faut encore, après avoir essayé d’indiquer les qualités qui appartiennent en propre à cette biographie catholique et poétique de saint François, que je reconnaisse de quel précieux secours ont été, pour elle, les travaux antérieurs de M. Sabatier. M. Jœrgensen, d’ailleurs, ne se fait pas faute de nous l’avouer. « Jamais on ne proclamera assez haut, — écrit-il aux dernières lignes de son Introduction, — le rôle qui revient à M. Sabatier dans la renaissance actuelle des études d’histoire franciscaine. Tout ce qui a été écrit depuis l’apparition de son premier livre,… tout cela se rattache directement à lui, soit que les divers auteurs aient voulu continuer ses recherches, ou qu’ils se soient proposé de le réfuter. L’auteur du présent livre, lui aussi, doit beaucoup à l’écrivain français ; et il est heureux de pouvoir l’affirmer, avec un profond sentiment de respect et de gratitude. » Peut-être même le poète danois a-t-il, par instans, poussé trop loin sa dépendance à l’égard de son éminent devancier, notamment pour ce qui concerne la date de la Légende des Trois Compagnons, et la possibilité de reconstituer, dans son ensemble, l’apport biographique du frère Léon et de ses amis : mais toujours, en tout cas, nous sentons qu’il a longuement et minutieusement pesé chacune des opinions de M. Sabatier, sauf à se voir souvent obligé de les « réfuter. » En vérité, les deux livres, bien loin de se nuire l’un à l’autre, se complètent et s’éclairent, réciproquement : l’un, plus abondant et plus nourri de faits, nous fournissant, en quelque sorte, une incomparable « chronique » documentaire de l’existence du saint ; l’autre, plus restreint dans son sujet comme dans sa portée, mais plus riche de vie, et s’employant surtout à faire renaître le cœur de l’homme merveilleux dont M. Sabatier nous a parfaitement révélé la figure et les actes.


T. DE WYZEWA,