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parole au critique. Ne nous en plaignons pas, s’il parle avec éloquence. En l’abandonnant (pour le retrouver bientôt) sur le seuil de la quarantième année, à la veille des pires épreuves et vraiment au bord de l’abîme, voici comment l’historien prend congé de son héros : « Méconnu, laissé à ses seules ressources de symphoniste sans public… il va se consumer, impuissant, « spleenétique, » mais toujours actif, ingénieux et plus tenace que l’adversité.

« Seul contre tous, seul contre tout.

« Dans les relâches passagers de ce long combat qu’il soutiendra en France et en Allemagne, en Autriche, en Russie, en Angleterre, il commencera la Nonne sanglante et l’abandonnera ; sa Damnation de Faust, montée par lui, il la verra tomber et le ruiner ; ses Troyens, il ne pourra même pas les faire jouer à l’Opéra. Quant à ses succès éphémères, quelle joie même lui donneront-ils ?… La désespérance, chaque jour, l’étreindra davantage…

« Abandonné de tous, se survivant à soi-même et à son génie ; cœur déchiré, saignant, mais toujours aspirant à l’amour et au rêve, il ne pourra plus que se bercer et s’engourdir, avec désespoir, dans l’illusion d’un amour impossible, pauvre cœur de vieillard, ou plutôt d’artiste à jamais jeune, de poète, qui se caresse encore dans les mirages de son adolescence.

« Lutte sans merci, héroïque et désespérée ; œuvres qui sont le volontaire aboutissement de toute une vie de recherches inquiètes ; maturité vouée à la tristesse ; vieillesse enveloppée d’une ombre sans cesse plus tragique aux approches de la mort, voilà ce que nous montrerons dans notre dernier volume, le Crépuscule d’un romantique. »

Au début de son étude, il y a quatre ans de cela, M. Romain Rolland écrivait : « Il semblera un paradoxe de dire qu’aucun musicien n’est plus mal connu que Berlioz. » Ce sera bien plus qu’un paradoxe : une erreur, et une injustice, quand un ouvrage comme celui de M. Boschot sera terminé.


CAMILLE BELLAIGUE.