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imagination poétique et musicale, mais avec les souvenirs les plus réels, les plus « vécus » de sa jeunesse, inspire encore la symphonie dramatique de Roméo et Juliette. Il ne commença de l’écrire qu’en 1839, Mais depuis douze années il la portait en lui. Dès 1827, il rêvait de mettre en musique Faust ou Roméo. Dans Shakspeare et dans Goethe il avait rencontré non seulement les plus grands des poètes, mais ses « muets confidens » et, — le terme est à noter, — « les explicateurs de sa vie. » Huit scènes de Faust, esquisse de la Damnation future et lointaine encore, datent de 1828. Le dessein d’un Roméo et Juliette, sur « un plan vaste et neuf, » est de la même année. « Juliette, sa Juliette, il l’avait vue, dès l’apparition d’Henriette Smithson, dans les bras de divers Roméo. Il l’avait entendue lui dicter les accords les plus sépulcraux, lorsqu’il lui avait fallu, logiste à l’Institut, et aspirant à la « palme académique, » faire mourir la Cléopâtre d’une scène de concours. A Florence, tandis que, dans une sorte de délire romantico-shakspearien, il suivait les convois funèbres et se plaisait à toucher la main à peine refroidie des jeunes mortes, n’est-ce point encore Juliette qui recevait ses macabres hommages ? Quelques mois après, il envoyait de la Villa Médicis à la Revue européenne une véritable ébauche du scenario que, dix-sept ans plus tard, il devait prier le poète Emile Deschamps de tirer pour lui du drame de Shakspeare. Et c’est ainsi que pour matière, ou pour idéal, de son œuvre, de son chef-d’œuvre peut-être, Berlioz encore une fois et tout naturellement, par la pente seule de son génie prit ses propres émotions, et sa vie, et son âme elle-même.

Ce rapport constant de l’homme et de la vie, M Boschot en a constamment, et sans les disjoindre, étudié les deux termes. Nous l’avons déjà dit, la biographie de Berlioz occupe ici la plus grande place, à la fois si grande et si remplie, que rien désormais ne semble pouvoir s’y ajouter encore. Secrets de souffrance, de tristesse et de désespoir, secrets de misère morale et matérielle même, secrets de passion, et de passions diverses, d’ambition et d’amour, de tous les amours : les uns poétiques, chimériques même, comme celui d’Henriette Smithson, et bientôt flétris, les autres, — tels que celui de Marie Recio, vulgaires, cruels et funestes, — quand nous achevons un tel livre, il n’y a plus de secrets pour nous en cette vie de Berlioz, la plus romanesque et la plus romantique sans doute que jamais un grand musicien de France ait vécue et qu’un historien de la musique en France ait racontée.

Quant à l’œuvre, quant à la musique en soi, l’écrivain s’excuse en