Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/931

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et ce personnage a beau porter le nom byronien d’Harold, il a l’âme de Berlioz, il est Berlioz. Les impressions italiennes du jeune musicien, les meilleures, celles qu’il reçut de la nature, se retrouvent toutes ici : variées sans doute comme les scènes ouïes épisodes qui les causent, mais ramenées à l’unité du sentiment ou de l’idéal rêveur et mélancolique, ardent et sombre, en un mot romantique, par le timbre, qui s’y prête si bien, de l’alto. Harold aux montagnes, — les lettres de la Villa Médicis et quelques articles contemporains en feraient foi, — n’est pas autre chose que « la transposition artistique de Berlioz à Subiaco. » La musique s’accorde sur ce point avec la correspondance, ou la littérature. Elle en confirme le témoignage. Il n’est pas jusqu’à certaine harpe, à dessein placée à côté de l’altiste, afin de bien montrer qu’elle se rapporte au héros, qui ne fasse penser à la guitare, habituellement emportée par le jeune « prix de Rome » en promenade pittoresque et souvent amoureuse à travers les montagnes sabines.

Le finale (Orgie de brigands) n’offre rien, et pour cause, d’aussi personnel, d’aussi « vécu. » De là vient que le personnage, l’alto, n’y fait guère autre chose que de compter des silences. Comme le dit plaisamment M. Boschot, Berlioz, devant un pareil spectacle, ne pouvait que s’en aller ou se taire. Il se tait. Quant au numéro III, Sérénade d’un montagnard des Abruzzes à sa maîtresse, on y pourrait trouver la « correspondance » musicale d’un article de Berlioz paru dans le Rénovateur en 1834 (époque de l’esquisse d’Harold) : « Je fus réveillé une nuit, à Subiaco, par une singulière sérénade… Je ne puis dire combien j’en fus agréablement affecté. L’éloignement, les cloisons, adoucissaient les rudes éclats de ces voix montagnardes. Quand elles eurent cessé, j’écoutais toujours. Mes idées flottaient, si douces, sur ce bruit auquel elles s’étaient amoureusement unies… Et je demeurai jusqu’au matin sans sommeil, sans rêves, sans idées. » — « Sans idées, » cela n’est pas bien sûr. Je croirais plutôt le contraire, et que précisément ce récit nous offre l’idée, ou le modèle, ou le programme de l’un des morceaux d’Harold. Le programme, n’est-ce pas le mot, quand on parle de Berlioz, auquel il faut toujours revenir ?

Un tel programme, en quelque sorte personnel, la vie et l’âme du musicien ne manqueront jamais de le lui fournir, et, jusque dans les œuvres de Berlioz qui pourraient paraître le plus extérieures, son biographe et son critique excelle à nous montrer encore le prolongement ou la projection de lui-même. Il n’est pas jusqu’à son Benvenuto, dont Berlioz n’ait rêvé de faire « un autre Berlioz… encore un frère de cet « Artiste » qui avait déclamé dans le Retour à la Vie, un frère d’Harold,