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musique et de l’émotion musicale, d’aborder cette transposition, délicate et périlleuse entre toutes, d’un art ou d’une langue dans une autre, nul ne redoute autant que M. Boschot ce qu’il nomme lui-même, avec un peu trop de sévérité peut-être, « l’inévitable divagation. » Nous constaterons cependant qu’à l’occasion il a su l’éviter et, quand il le fallait, quand il le fallait à tout prix, mêler à la narration des événemens, sans presque l’interrompre, des jugemens sur les œuvres, et l’on dirait volontiers, si les termes se pouvaient associer, des aperçus ou des vues de musique, et de musique pure.

Autant que l’esprit du premier volume, le tome second de l’ouvrage de M. Boschot en conserve le ton, et cette unité n’était pas la moins difficile à soutenir. Pour la pensée, ou le sentiment, pour le style aussi, le peintre, se renonçant en quelque sorte soi-même, a fait plus que se conformer à son modèle : il s’est soumis à lui, il s’est comme absorbé ou perdu en lui. De là ce portrait non seulement vivant, mais, — on peut bien le dire à propos de Berlioz, — criant et rugissant. Berlioz continue de vivre, en ces nouvelles pages, sa vie ardente et sombre, frénétique, toujours montée à son comble et irritée. Il la vit et semble, — pour la seconde fois, — la raconter. Avec plus d’exactitude seulement qu’il ne l’avait fait d’abord, en personne. Du biographe et de l’autobiographe, ce n’est pas toujours, on le sait maintenant, celui-ci qu’il faut croire. Pour être, suivant l’expression de M. Romain Rolland, dans une éloquente étude récemment parue ou reparue[1], pour être « un des plus beaux livres qui aient jamais été écrits par un artiste, » les Mémoires de Berlioz ne sont pas l’un des plus véridiques. M. Boschot à tout moment, et pièces en mains, les discute, les dément et les corrige. Sans trop de sévérité d’ailleurs et plutôt avec une indulgente ironie, il en relève les erreurs, qui ne furent pas toutes involontaires ou désintéressées. Pour mieux comprendre Berlioz et nous le montrer mieux, il a beau s’être fait son ami, le plus dévoué, le plus fidèle, le plus sensible à son génie comme à ses malheurs ; plus que son ami, véritablement son frère et presque son semblable, de cette ressemblance fraternelle il s’est du moins réservé quelque chose en propre, et c’est le goût, la passion de la vérité.

Mais l’unité, j’écrirais volontiers l’identité dernière et qui fait le fond de l’ouvrage de M. Boschot, est celle que l’auteur a partout et fortement établie entre la vie de Berlioz et son œuvre, entre le génie de l’homme et l’homme même. De tous les grands artistes, pas un

  1. Musiciens d’aujourd’hui (Hachette, 1908).