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POÉSIES


LA TRISTESSE DE L’AURORE


Les poètes ont dit que l’Aurore est joyeuse
Lorsque, tenant le jour dans sa main lumineuse,
Elle le donne aux cieux du clair geste éternel
D’où naissent le froment, les fleurs, les fruits, le miel.
L’Aurore n’est pas telle ; elle est pensive et grave :
Quand, sous la ténébreuse et massive architrave
Qui soutient le fronton étoile de la nuit,
Sous le portique noir au fond duquel reluit
Le reflet rose et gris de sa robe céleste
Elle s’est avancée à pas lents, elle reste
Tout attristée au bord de ce parvis obscur
Où naît l’ascension immense de l’azur.

Aussitôt que jaillit des ombres déchirées
La lumière, elle sait que les races navrées
Qui traînent lourdement le dur destin humain,
Laissant les pleurs d’hier pour les pleurs de demain,
Par la trêve nocturne un instant soulagées,
Reprennent leur fatigue et leur peine, infligées
Par le resplendissant et l’inclément retour
Du premier des rayons qui proclament le jour.
C’est le commandement, l’implacable signal
Qui ramène et remet le monde au joug du mal.
Tant de milliers de corps qui goûtaient le repos
Dans les cités, les champs, les bois, le long des flots,