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restant tard en friche, accumulant en silence des réserves d’énergie nerveuse.

A treize ans, la public school, laquelle n’est pas simplement, comme on le pourrait croire, une école publique, ouverte à tous, mais spécialement une école de la gentry. L’enfant y retrouve son milieu naturel, c’est-à-dire, d’abord un home spacieux, celui d’un professeur qui le reçoit dans sa famille, la présence d’une dame, souvent de jeunes filles, les mœurs et les manières de son monde, puis des arbres, des pelouses, une rivière, la campagne, où dans un rayon de plusieurs milles il peut s’en aller courir, ou bien étudier à l’ombre des arbres, aux heures qui ne sont point celles des classes ou des jeux obligatoires, car s’il est débiteur d’une certaine somme de travail scolaire, il est libre de choisir dans la semaine ou la journée son moment pour s’en acquitter. Presque tous les jours les disciplines du cricket et du foot-ball pour apprendre l’obéissance et le commandement, la ténacité patiente, l’endurance à la fatigue et aux coups, surtout la volontaire subordination à l’action commune. Discipline, initiative et responsabilité, voilà ce qu’il apprend d’abord. L’idée maîtresse du système, c’est que l’éducation prime l’enseignement ; il s’agit moins de meubler l’intelligence que de dresser l’âme adolescente, d’en faire « une âme de chrétien, d’Anglais et de gentleman[1], » saine, heureuse, honorable, véridique, maîtresse et respectueuse d’elle-même, forte contre l’émotion, dure à sa propre souffrance et tendre à la souffrance d’autrui[2]. Qu’il est un gentleman, un Anglais, un chrétien, tout le lui enseigne : les jeux physiques, réputés nobles, qui lui font un corps entraîné, différent de celui d’un rustre et d’un bourgeois, une société de camarades qui tous appartiennent à sa caste, des maîtres qui, de parti pris, se fient

  1. Mot de Thomas Arnold qui a tant fait pour réformer dans le sens de cet idéal les Public Schools. Dans Peter Pan, la féerie anglaise, si populaire en Angleterre, que l’on joue en ce moment à Paris, notez ces mots que prononcent avec enthousiasme les enfans : to be an English gentleman ! To die like English gentlemen ! Il ne s’agit pas seulement d’être Anglais, mais d’être un gentleman.
  2. Sur tout cet idéal dont s’inspirent la plupart des romans, et qui, certainement, a exercé ses influences d’idéal, voir surtout les Idylles du Roi de Tennyson. Par leur forte discipline, par leur douceur, leur pureté, leur courage, son Arthur et ses chevaliers incarnent l’idée du parfait gentleman anglais dans la seconde moitié du XIXe siècle. Sur cette éducation, voyez non seulement Tom Brown’s School days, écrit il y a cinquante ans, mais the Brushwood boy de Kipling, écrit il y a dix ans.