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spectacle, d’une grande émotion. Il a crayonné les Méditations sur la montagne à l’ombre d’un vieux chêne, les Harmonies sous les figuiers au bord de la mer de Livourne ; et de même pour ces notes de voyage. Il trouve, au surplus, que cette négligence a grand air. Il affecte d’être « détaché » de ses propres ouvrages, et vis-à-vis de ses plus intimes confidens. N’écrit-il pas à Virieu, le 8 avril 1835 : « J’ai paru avant-hier… Je le lis comme d’un autre, n’en ayant rien revu et pas corrigé une épreuve… » Or Lamartine, quoi qu’il en dise, avait revu ses notes : il les a « réunies, proportionnées, composées, corrigées. » Il a ajouté des scènes, des développemens, des digressions, refait des phrases… Et voilà donc, une fois de plus, Lamartine pris en flagrant délit d’un labeur sur lequel il s’est efforcé de donner le change à la postérité !

Ainsi présentée, la thèse est beaucoup trop absolue. Je suis d’avis, au contraire, qu’on peut, — en l’interprétant légèrement, — adopter la version de Lamartine sur la rédaction de son propre ouvrage. On en trouvera la preuve dans ces deux passages que j’emprunte à des lettres inédites et dont le rapprochement est significatif. Au mois de mai 1834, Lamartine écrivait à son beau-frère de Montherot : « Je rédige les Notes, impressions, et paysages d’une partie de mes voyages. Je vais achever ensuite le Journal du Curé ou du Vicaire de***. » Au même il écrit, le 3 avril 1835. « Gosselin m’imprime à Paris et on m’a vendu 12 000 exemplaires déjà à Bruxelles. J’ai vu une lettre où il est dit : Nous lisons ce premier volume de M. de Lamartine, nous le trouvons délicieux. Ce mot me fait un peu espérer. Cependant, sur mon honneur, je n’ai pas lu mon livre. Je crois qu’il n’y a que des mots et du vide et je frémis de le lire. Cela paraît ici dans quatre à cinq jours. » Ainsi, à la même personne, Lamartine écrit : je rédige mes notes et je n’ai pas lu mon livre. Il le pouvait sans aucune contradiction. Reportons-nous à l’album de la Bibliothèque nationale qui correspond à une partie du voyage à Jérusalem. C’est l’album 47 : entièrement écrit au crayon, il se termine par un croquis de Lamartine avec cette mention : « Jérusalem du haut de la montagne des Oliviers, 18 octobre matin 1832. » Les cinq premiers feuillets y sont complètement rédigés et à peu près conformes au texte publié. Il est vrai qu’au sixième feuillet la narration prend la forme de notes : « Arrêté là au bain minéral turc d’Emmaüs… Pris un bain. Dormi une