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dans l’atmosphère tiède du bal et du théâtre, avaient assoupli, urbanisé jusqu’à la nerveuse délicatesse. C’est ce qui frappe d’abord si l’on compare dans les tableaux et les estampes les anciens types de l’aristocratie française et ceux de la haute caste d’Angleterre. De celle-ci le progrès en conscience, pensée, savoir, vitesse et délicatesse de perception, ne semble pas s’être fait aux dépens de la puissance et de la quantité de vie. Détachées, non sur un décor de lustres et de meubles précieux, mais sur de nobles feuillages et de vaporeux lointains de grands parcs naturels, ces figures, leurs fronts lisses, leurs joues rosées, leurs limpides ou profonds regards, leurs reliefs ou leurs modelés de vigueur et de précision, expriment une énergie qui se commande, combien digne et grave à côté des pétulantes mobilités, des agiles et malicieuses nuances, des vives lumières, des yeux rieurs, des traits parlans, — bouche sardonique ou nez polisson, — d’un masque de La Tour ! Dans les plus belles de ces physionomies anglaises, chez ces squires et grandes dames de Gainsborough, de Reynolds, de Russell et de Hoppner, si l’esprit ne pétille pas, souvent la spiritualité rayonne. Elles ne disent pas tant la culture de l’intelligence que l’éducation de lame, sa force entraînée et volontairement réticente, sa hauteur de tenue aussi bien que son équilibre assuré, son repos habituel, une dignité profonde et inconsciente, comme celle qui nous étonne dans les belles et sereines attitudes des plus nobles animaux.

Origines et circonstances de vie, les mêmes causes qui font la supériorité physique du type, nous expliquent sa valeur morale. C’est un type de caste ; il est donc soutenu par de longs atavismes, latent dès la naissance, en sorte que l’éducation ne fera que le dégager. Dans les biographies des grands individus de cette classe et dans les romans, voyez cette éducation. L’enfant grandit sans secousses, dans le paysage héréditaire, au milieu de ces hêtres et de ces chênes historiques dont l’image sera le fond grave de ses souvenirs et de sa vie, comme elle entoure les portraits de ses parens. Calme enfance au sein des calmes choses végétales : le profond parc et la claire nursery, royaume des petits qui vivent peu avec leurs parens ; de sages repas où les mains se joignent d’abord pour les actions de grâces, des contes de fées, des légendes locales, l’amitié de bonne heure apprise pour les bêtes et les choses de la campagne, le premier poney avant le premier livre, le jeune esprit