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l’avez. Attendez ma copie dans quelques jours si je l’envoie, tout le reste n’existe pas.

Nous sommes toujours tels que vous nous avez laissés, dans un printemps superbe et très paisible entre Saint-Point et Milly. J’arrange Milly où je viens d’acheter, pour étendre mon jardin et percer une façade au midi, des vignes et des chaumières pour vingt mille francs, à tout risque des événemens. Je les crois horribles, mais pas durables. Je n’ai pas vos idées sur le peuple. Je le crois un élément ni bon ni mauvais : vague ou miroir selon le vent.

Mille amitiés.


Le moment que traverse alors Lamartine est un moment d’effervescence, où se découvrent et se précisent à son esprit la plupart des idées sur lesquelles il va vivre pendant dix-huit années. On a souvent reproché à l’homme politique sa mobilité. C’est une erreur, ou c’est une illusion dont on a été trop aisément dupe. Certes, même dans sa politique, Lamartine restera poète : il aura ses caprices, il aura ses nerfs. Cela dit, convenons que son credo politique et surtout social est dès lors arrêté dans les grandes lignes : on peut le lire tout au long dans cette Politique rationnelle publiée en octobre 1831 et qui contient plus qu’en germe toutes les théories du philosophe, de l’orateur et de l’homme d’État. D’abord, l’expression d’une sorte d’évangélisme : « Nous sommes à une des plus fortes époques que le genre humain ait à franchir pour avancer vers le but de sa destinée divine, à une époque de rénovation et de transformation sociale pareille peut-être à l’époque évangélique… » La vérité et la vertu sont en marche. La forme du gouvernement moderne, c’est la « République mixte à plusieurs corps, à une seule tête, république à sa base, monarchie à son sommet. » Comme programme : pas de pairie aristocratique et héréditaire, la presse libre, l’enseignement libre, l’Église séparée de l’État, le suffrage universel, mais à plusieurs degrés, l’abolition de la peine de mort. C’est le programme humanitaire, avec des réserves sans doute et des précautions, mais qui ne résisteront pas à la force des circonstances et à l’entraînement de la passion.

Sous l’influence de telles idées, il était bien impossible que Lamartine ne songeât pas à entrer dans la lutte. Le fait est qu’il la considère comme un devoir. En temps de révolution et quand on va livrer « les plus grandes batailles intellectuelles dont jamais ait dépendu le sort des générations nées et à naître…